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Corruption : Application de la liberté d’expression aux lanceurs d’alerte

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Cour de cassation. Cour de cassation.

Le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, susceptibles de caractériser une infraction pénale, est frappé de nullité, a jugé la cour de cassation, au visa de l’article 10-1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En l’espèce, engagé, le 17 août 2009, en qualité de directeur administratif et financier par une association gérant un centre d’examen de santé faisant partie du dispositif de santé publique en Guadeloupe (Agrexam), le salarié avait été licencié, le 29 mars 2011, pour faute lourde après avoir dénoncé au parquet les agissements d’un membre du conseil d’administration et du président de l’association susceptibles de constituer une escroquerie ou un détournement de fonds publics.

Les juges du fond1 avaient certes jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où le salarié, de bonne foi, n’avait commis aucune faute en révélant les faits aux autorités judiciaires mais avaient refusé de prononcer la nullité du licenciement au motif que les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail, issus de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière n’étaient pas applicables au moment de la dénonciation des faits ayant donné lieu au licenciement.

L’article L. 1132-3-3 précité dispose en effet que :

« […] aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire […] pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions »

et toute mesure en méconnaissance de cette disposition est sanctionnée par la nullité du licenciement en application de l’article L. 1132-4.

Sur le pourvoi du salarié, la chambre sociale de la cour de cassation2  fait application de la jurisprudence3  de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle « les sanctions prises à l’encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement d’un service ou divulgué des conduites ou des actes illicites constatés sur le lieu de travail constituent une violation de leur droit d’expression au sens de l’article 10-1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme », en disant pour droit, au visa de cet article 10-1, qu’ « en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ».

Cet arrêt constitue une première mais n’est que le prolongement de précédentes décisions4 qui avaient déjà admis la nullité d’un licenciement ou de toute mesure de rétorsion portant atteinte à une liberté fondamentale du salarié.

 

  • 1Basse-Terre, ch. soc., 13 oct. 2014, n° 13/00225, Laurent X c/ Association guadeloupéenne de gestion et de réalisation des examens de santé et de promotion de la santé (Agrexam).
  • 2Soc. 30 juin 2016, n° 15-10557, Laurent X c/ Association guadeloupéenne de gestion et de réalisation des examens de santé et de promotion de la santé (Agrexam).
  • 3CEDH, 12 févr. 2008, n° 14277/04, Guja c/ Moldavie ; 18 oct. 2011, n° 10247/09, Sosinowska c/ Pologne.
  • 4Soc. 6 févr. 2013, n° 11-11740 ; 29 oct. 2013, n° 12-22447.

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