Droit d'accès à un tribunal : Le rejet d'une exonération de contravention routière doit pouvoir être soumis à un tribunal

Grande victoire pour les automobilistes, l'impossibilité de contester le rejet, par le ministère public, d'une demande d'exonération de contravention routière constitue, selon deux arrêts distincts rendus ce matin, une violation de l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif au droit d'accès à un tribunal indépendant et impartial.
À l'origine de cette prouesse, deux ressortissants français résidant l'un à Perpignan et l'autre à Paris dont leurs bolides furent flashés respectivement en août 2007 et juin 2008 à des vitesses supérieures à celles autorisées. Ils reçurent des avis de contravention au code de la route les invitant à s’acquitter d’une amende forfaitaire de 68 euros.
Après avoir réglé le montant de l’amende à titre de consignation, le premier adressa, dans les délais impartis et les formes requises, une requête en exonération à l’officier du ministère public en soutenant l’impossibilité de reconnaître l’infraction en l’absence du cliché photographique. Le second fit de même, en expliquant ne pas avoir été le conducteur du véhicule lors de l’infraction.
Irrecevabilité de la requête en exonération du premier au motif qu'elle n’était pas motivée par lettre du 19 octobre 2007 de l’officier du ministère public qui, en réalité, est un commissaire de police. De même pour le second, par une lettre similaire du 3 septembre 2008, au motif que sa requête n’était pas accompagnée d’une contestation explicite de l’infraction. Dans les deux cas, la consignation fut automatiquement considérée comme un paiement de l’amende.
Et tous deux furent avisés par le ministère de l’Intérieur de ce que la réalité de l’infraction qui leur était reprochée avait été établie par le paiement de l’amende forfaitaire et, en conséquence, un point serait retiré sur leur permis de conduire.
Ni une ni deux et saisine de la Cour européenne des droits de l'homme par nos deux automobilistes qui se plaignaient d’une violation de leur droit à ce que leur cause soit entendue par un tribunal décidant du bien-fondé d’une accusation en matière pénale conformément aux dispositions de l'article 6 §1 de la Convention.
Pas froid aux yeux, le gouvernement français soutenait que les deux requêtes étaient irrecevables en raison du non-épuisement des voies de recours internes. Ils auraient dû soulever devant la juridiction de proximité un incident contentieux relatif à l’exécution du titre voire, dans le second cas, engager la responsabilité de l’État du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice.
La Cour de Strasbourg
Sur le fond, la Cour rappelle que si le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu et qu'il peut y avoir des limitations implicites, notamment concernant les conditions de recevabilité d’un recours, « ces limitations ne peuvent restreindre l’exercice du droit d’accès à un tribunal à un point tel qu’il se trouve atteint dans sa substance même ».
Les limitations doivent viser un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, insiste la Cour. Or, en l’espèce, d’une part, l’officier du ministère public — un commissaire de police — a déclaré irrecevables les requêtes en exonération des requérants pour des motifs erronés alors que dans le formulaire prévu à cet effet, les requérants avaient « clairement indiqué contester l’infraction et, dans une lettre d’accompagnement, ils ont dûment précisé leurs motifs ».
Le commissaire de police, dont le pouvoir d’appréciation se limite à l’examen de la recevabilité formelle de la contestation, a excédé ses pouvoirs, estime la Cour pour qui dans les deux affaires, la décision d’irrecevabilité de l’officier du ministère public a entraîné l’encaissement de la consignation équivalant au paiement de l’amende forfaitaire malgré la contestation et cela a eu pour effet d’éteindre l’action publique, sans qu’un « tribunal », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, ait examiné le fondement de l’« accusation » dirigée contre les requérants et entendu leurs arguments. « Le droit d’accès à un tribunal s’est trouvé atteint dans sa substance même », tranche la Cour.
Mais la Cour prend toutefois acte de la décision du Conseil Constitutionnel
Le premier réclamait 68 euros au titre de son préjudice matériel correspondant au montant de l'amende ainsi que 800 euros au titre de son préjudice moral et il n'obtient rien. Le second, en revanche, réclamait également 68 euros sur le même fondement mais seulement 1 euro au titre de son préjudice moral ainsi que 2 500 euros au titre des frais irrépétibles et il obtient 68 euros, 1 euro et les 2 500 euros sont réduits à 1 000 euros.