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Écoutes : Confirmation de la mise à la retraite d’office d’une magistrate

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Cour européenne des droits de l'homme Cour européenne des droits de l'homme

La Cour européenne des droits de l’homme a écarté la violation de l’article 8 de la Convention soulevée par une magistrate mise à la retraite d’office et radiée des cadres à la suite de propos interceptés incidemment.

En l’espèce, une communication téléphonique avait été interceptée, le 6 septembre 2008, entre la plaignante, Dominique Terrazzoni, juge au tribunal de grande instance (TGI) de Toulon depuis le mois de juillet 2000, et F.L., un individu connu des services de police et titulaire de la ligne faisant l’objet des écoutes dans le cadre d’une information judiciaire ouverte du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants.

Au cours de cette conversation de 21’26’’, F.L. demanda conseil à la magistrate en vue de sa comparution prochaine devant le tribunal correctionnel de Toulon et lui répondit qu’elle ne siégeait plus au pénal mais lui expliquant les arguments pouvant être développés pour sa défense. Elle lui promit qu’elle se renseignerait sur la composition de la formation de jugement et qu’elle l’informerait si elle devait être amenée à y siéger de manière exceptionnelle mais précisant qu’elle ne pouvait le demander car « ça ferait louche ». Elle lui dit qu’elle ne connaissait pas les « mongols », les nouveaux magistrats siégeant au pénal à Toulon, mais évoqua le nom d’une collègue considérée comme « très molle » et « de gauche » qui constituerait une chance pour F.L. s’il était jugé par elle.

Mme Terrazzoni demanda ensuite à son interlocuteur s’il connaissait des personnes détenues à la maison d’arrêt de La Farlède — où était l’agresseur de sa sœur — et, sans rien demander explicitement, suggéra une « intervention » sur cette personnelle par l’expression « tu vois ce que je veux dire ? » et en souhaitant de le voir « crever la bouche ouverte », propos qu’elle illustra en évoquant un dossier dont elle avait eu à connaître concernant un « arabe » qui avait eu l’œil crevé par un autre « arabe », précisant « non, mais je m’en foutais, c’est des arabes moi, putain, ils peuvent tous crever la bouche ouverte » et ajoutant qu’à l’inverse, elle avait la « haine » contre l’agresseur de sa sœur.

Informé du contenu de cette conversation, le parquet général d’Aix-en-Provence alerta, le 10 octobre 2008, le parquet de Marseille et le premier président de la cour d’appel d’Aix en leur précisant que le même jour, 10 octobre 2008, F.L. avait finalement été condamné à une peine d’emprisonnement d’un an par le tribunal correctionnel de Toulon et que dans cette même affaire, le 1er avril 2004, le tribunal, dans une composition où figurait Mme Terrazzoni, avait ordonné un supplément d’information.

Le Conseil d’État déclara non admis, le 4 novembre 2009, le pourvoi contre une décision du 18 décembre 2008 du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) prononçant à l’encontre de la magistrate l’interdiction temporaire d’exercer ses fonctions au TGI de Toulon jusqu’à la décision définitive sur les poursuites disciplinaires.

Pénalement, le parquet classa, le 26 mai 2009, le dossier sans suite en l’absence d’infraction mais, disciplinairement, en revanche, par une décision du 5 mai 2010, le CSM mis Mme Terrazzoni, 48 ans à l’époque et 55 ans aujourd’hui, à la retraite d’office au motif notamment que les propos incitatifs à la violence sur un détenu caractérisaient « un manquement aux devoirs du magistrat et une perte des repères déontologiques pour des motifs de vengeance personnelle ». Radiée des cadres par décret présidentiel du 30 août 2010, son recours gracieux fut rejeté le 1er février 2011 et son recours annulation fut rejeté le 11 avril 2012 par le Conseil d’État, son pourvoi contre la décision du CSM du 5 mai 2010 ayant été déclaré non admis le 9 novembre 2011.

Mme Terrazzoni a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une violation de l’article 8 de la Convention aux motifs d’une méconnaissance des dispositions relatives à la surveillance de la ligne téléphonique d’un magistrat et de l’impossibilité de faire contrôler la régularité de l’interception téléphonique.

S’agissant d’écoutes téléphoniques incidentes, la Cour1 rappelle la jurisprudence nationale selon laquelle que « dès lors que des conversations interceptées révèlent l’existence de faits susceptibles de constituer une infraction pénale, celles-ci, même si elles sont étrangères à la procédure dans le cadre de laquelle les écoutes téléphoniques ont été ordonnées, peuvent être transcrites et communiquées au procureur de la République lequel apprécier les suites à donner »2 , même s’il s’agit de conversations téléphoniques entre la personne surveillée et son conseil3

Ordonnée par un juge d’instruction sur le fondement des articles 100 et suivants du code de procédure pénale, l’écoute téléphonique litigieuse, relève la Cour, ne visait pas la magistrate ou sa ligne téléphonique mais l’un de ses interlocuteurs et la Cour de cassation ne trouve rien à redire à ce que pareille conversation puisse être transcrite et versée dans une autre procédure dès lors qu’elles relèvent la commission d’autres infractions et, au cas particulier, les propos tenus, souligne la Cour, étaient susceptibles de caractériser à la fois « sa participation à des infractions pénales et un manquement professionnel l’exposant à des poursuites disciplinaires ».

 

  • 1CEDH, 5e sect., 29 juin 2017, Dominique Terrazzoni c/ France.
  • 2Crim., 21 févr. 1995, n° 94-83336, Louis X c/ ministère public ; dans le même sens : CE, 29 juill. 1998, n° 173940, Jean-Pierre X c/ ministère de la justice.
  • 3Crim., 8 nov. 2000, n° 00-83570, Mohamed X et a. c/ ministère public.

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