Enseignement : L’obligation scolaire à la maison en Allemagne en question

Les parents Wunderlich et leurs quatre enfants et, en arrière-plan, leurs conseils. Photo ADF.
Les parents Wunderlich et leurs quatre enfants et, en arrière-plan, leurs conseils. Photo ADF International.

La privation partielle de l’autorité parentale et le retrait des enfants du foyer familial après le refus des parents de les envoyer à l’école n’emportent pas violation de l’article 8 de la Convention, a jugé la Cour européenne des droits de l’homme.

En l’espèce, Petra et Dirk Wunderlich, des ressortissants allemands parents de quatre enfants nés entre 1999 et 2005 avaient refusé, en 2005, d’inscrire leur fille aînée à l’école et se virent infliger des amendes administratives et des procédures pénales furent engagées contre eux pour manquement aux règles sur la scolarité obligatoire. Obstinés, les parents payèrent les amendes mais n’envoyèrent pas leur fille à l’école et de 2008 à 2011, toute la famille vécut à l’étranger.

De retour en Allemagne en 2011, ils n’inscrivirent pas leurs enfants à l’école et par une lettre du 13 juillet 2012, les autorités scolaires (staatliches Schulamt), soutenues par les services de la jeunesse, informèrent le tribunal des affaires familiales que les Wunderlich refusaient « délibérément » et « obstinément » d’envoyer leurs enfants à l’école, ce qui était, selon elles, « contraire à l’intérêt supérieur des enfants » puisque ceux-ci grandissaient à leurs yeux dans un « monde parallèle ».

Deux mois plus tard, le tribunal des affaires familiales de Darmstadt, d’une part, priva les parents du droit de décider du lieu de résidence de leurs enfants ainsi que du droit de prendre des décisions sur les questions de scolarité et transféra ces droits aux services de la jeunesse et, d’autre part, ordonna également aux parents de confier leurs enfants aux services de la jeunesse afin que ceux-ci fassent appliquer les règles sur la scolarité obligatoire. Le tribunal jugea notamment que le refus par les parents d’envoyer leurs enfants à l’école « empêchait ces derniers de devenir des membres à part entière de la communauté et d’acquérir des compétences sociales telles que la tolérance ».

Les services de la jeunesse essayèrent vainement, à plusieurs reprises entre 2012 et 2013, d’évaluer les acquis scolaires des enfants et en avril 2013, la cour d’appel de Francfort-sur-le-Main rejeta l’appel que les parents avaient formé contre la décision du tribunal des affaires familiales en considérant que l’intérêt supérieur des enfants était « concrètement menacé » puisque l’on ne pouvait pas considérer que l’instruction que ceux-ci recevaient de leurs parents pouvait compenser le fait qu’ils n’étaient pas scolarisés. En octobre 2014, la Cour constitutionnelle fédérale refusa d’examiner le recours constitutionnel des Wunderlich.

C’est ainsi que les enfants furent retirés à leurs parents et placés dans un foyer d’accueil pendant trois semaines entre août et septembre 2013 et fréquentèrent ensuite l’école jusqu’en juin 2014, daet à laquelle les parents retirèrent une nouvelle fois leurs enfants de l’école et deux mois plus tard, dans le cadre d’une procédure parallèle, la cour d’appel de Francfort-sur-le-Main restitua aux parents le droit de décider du lieu de résidence de leurs enfants, notant en particulier que l’évaluation des acquis scolaires avait montré que « le niveau d’instruction des enfants n’était pas alarmant » et que, contrairement à ce qui avait été observé en août 2013, on pouvait désormais exclure qu’il fût porté atteinte à leur intégrité physique, la cour d’appel soulignant toutefois que cette décision ne devait pas être comprise comme l’autorisation d’instruire les enfants à la maison.

Invoquant l’article 8 de Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les Wunderlich reprochaient aux autorités allemandes de les avoir privés de certains droits relevant de l’autorité parentale en transférant ces droits aux services de la jeunesse et se plaignaient notamment de l’éloignement forcé des enfants du domicile familial et du placement de ceux-ci dans un foyer d’accueil pendant trois semaines.

La CourCEDH, 10 janv. 2019, n° 18925/15, Wunderlich c/ Allemagne., dans cet arrêt qui n’existe qu’en anglais, relève que la privation partielle de l’autorité parentale, le transfert de ces droits aux services de la jeunesse et l’exécution de cette décision par le biais de l’éloignement des enfants du domicile familial et de leur placement en foyer d’accueil pendant trois semaines ont constitué « une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de la vie familiale tel que garanti par l’article 8 » mais l’application de l’obligation de scolarité aux fins de l’intégration sociale des enfants représente « un motif pertinent justifiant la privation partielle de l’autorité parentale », ce qui fait dire à la Cour que les autorités internes avaient des raisons d’estimer que les parents avaient mis leurs enfants « en péril en ne les envoyant pas à l’école et en préférant les maintenir dans un système familial "symbiotique" ».

Les autorités internes ont, selon la Cour, « raisonnablement supposé que les enfants vivaient dans l’isolement », qu’ils n’avaient « aucun contact en dehors de leur famille » et qu’il existait « un risque d’atteinte à leur intégrité physique », soulignant que si des informations plus étoffées faisaient défaut, c’était à cause de la résistance que les Wunderlich opposaient aux tentatives d’évaluation des acquis scolaires de leurs enfants avant que ceux-ci ne leur fussent retirés.

Sur le plan procédural, la Cour n’émet aucune critique dans la mesure où les requérants, représentés par un avocat, ont été en mesure d’exposer tous leurs arguments militant, selon eux, contre la privation partielle et temporaire de leur autorité parentale, d’une part, et, d’autre part, les juridictions internes ont expliqué de « manière détaillée » pourquoi des mesures moins lourdes que le placement des enfants n’étaient pas disponibles et, à cet égard, la Cour relève que même les amendes administratives qui leur avaient été infligées n’avaient pas « infléchi » le refus des Wunderlich de scolariser leurs enfants. Et dans la mesure où les enfants ont été restitués à leurs parents après qu’une évaluation de leurs acquis scolaires eut été effectuée et après que les parents eurent consenti à les envoyer à l’école, l’éloignement des enfants n’a pas duré en lui-même « plus longtemps qu’il n’était nécessaire » et n’a pas été mis en œuvre d’une « manière particulièrement rude » pour en conclure qu’il existait des motifs « pertinents et suffisants » de priver temporairement les parents de certains aspects de leur autorité parentale et d’éloigner temporairement leurs enfants du foyer familial. Pour la Cour, les autorités internes ont donc ménagé « un équilibre proportionné » entre « l’intérêt supérieur des enfants » et « les intérêts de M. et Mme Wunderlich », sans outrepasser « leur marge d’appréciation ».

En France, l’ « obligation scolaire » est codifiée aux articles L. 131-1 et suivants de code de l’éducation mais, sous réserve d’en avoir les capacités intellectuelles et moyens financiers, elle peut être dispensée, outre dans tous « établissements ou écoles publics ou privés », également par les parents eux-mêmes ou par toute personne de leur choix.

L’association ADF International qui a accompagné la famille Wunderlich tout au long de cette procédure se dit « extrêmement déçue » et annonce, dans un communiqué, qu’il serait envisagé d’en appeler à la Grande Chambre mais les chances de succès semblent insignifiantes car la motivation de l’arrêt ne porte pas sur l’obligation scolaire en Allemagne qui ne serait possible uniquement et exclusivement qu'à l’école mais sur le comportement des parents d’avoir coupé les enfants du monde extérieur et de refuser toute évaluation.