Grotte de Chauvet : La CEDH valide l'expropriation par la France

Ils sont allés jusqu'au bout, mais maintenant l'affaire est classée. Les propriétaires de terrains surplombant la grotte de Chauvet n'auront pas droit à leur procès devant la Cour européenne des droits de l'homme. Elle a rejeté la requête dans une décision rendue le 11 octobre mais publiée aujourd'hui.
La grotte de Chauvet est un patrimoine archéologique inouï, mis à jour en décembre 1994. Trois spéléologues y ont découvert des dessins, peintures et gravures vieux de 30 000 ans.
L'État français a voulu protéger le domaine en essayant d'acheter les terrains. Une tentative d'accord amiable ayant échoué, une procédure d'expropriation a été engagée. Les propriétaires se sont estimés lésés. Le droit interne leur a accordé réparation, mais ils ont voulu davantage. Le droit international1 vient de leur répondre qu'ils devront faire une croix sur ce "davantage".
Une longue procédure interne
Le premier jugement est rendu le 4 février 1997. Le juge de l'expropriation n'accorde aux malheureux propriétaires que la misérable indemnité de 4 837, 28 euros. Il se fonde sur l'article L. 13-15 du code de l'expropriation selon lequel les biens doivent être estimés selon leur usage effectif un an avant l'ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique. Or, à cette date-là, pas de chance, personne ne connaissait l'existence de la grotte.
La décision a de quoi surprendre, car ce fameux article du code de l'expropriation précise bien que ce sont les "travaux, opérations, ou perspectives de modifications aux règles d'utilisation des sols" réalisés durant l'année précédant l'ouverture de l'enquête dont on ne peut pas tenir compte quant au calcul de l'indemnité. La présence d'une grotte n'a rien à voir avec tout cela...
Les propriétaires dépités font donc appel. Là encore, grise mine. La cour d'appel de Nîmes confirme le premier jugement.
Ils se pourvoient en cassation, avec davantage de succès. La haute juridiction reconnaît que leur "préjudice direct, matériel et certain" n'est pas couvert par les indemnités allouées et qu'il faut donc juger l'affaire à nouveau.
Retour devant la cour d'appel, celle de Toulouse cette fois-ci. Et l'on passe d'un extrême à l'autre, puisqu'elle condamne l'État à payer aux propriétaires pas moins de 11 339 289,20 euros.
Cette fois-ci, c'est l'État qui se pourvoit. La cassation de l'arrêt est obtenue.
Retour pour la troisième fois devant la cour d'appel, celle de Lyon. Elle décide de taper au milieu, et accorde une indemnité totale de 767 065,63 euros.
Pas assez pour les propriétaires. Qui font un nouveau pourvoi en cassation. Qui est rejeté.
Les recours internes sont épuisés, et il ne reste plus que la Cour européenne des droits de l'homme. Les propriétaires s'estiment victimes d'une violation de l’article 1er du Protocole no 1, qui dispose que "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international".
Une marge d'appréciation importante laissée aux États membres par la CEDH
Ce n'est pas vraiment une nouveauté, mais la CEDH le confirme ici: elle ne veut pas outrepasser ses fonctions en s'instituant juge de l'expropriation. Son rôle est simplement d'examiner s'il n'y a pas eu de disproportion flagrante en la matière.
La jurisprudence ne date pas d'hier.
L'an dernier, dans une affaire concernant déjà la France, la Cour rappelle que "les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d'utilité publique"2 .
Il y a neuf ans, dans une autre affaire concernant toujours la France, elle estime que son contrôle "se borne à rechercher si les modalités choisies excèdent la large marge d’appréciation dont l’État jouit en la matière"3 . Dès 1986, elle estime qu'en matière d'expropriation, l'équilibre n'est rompu que "si la personne concernée a eu à subir une charge spéciale et exorbitante"4 .
Des mots révélateurs: le principe est que sur le sujet, les États ont les mains libres. L'exception doit se caractériser par une certaine évidence.
En l'espèce, la juridiction strasbourgeoise relève que la valeur des terrains a été prise en compte, mais aussi la plus-value apportée par la grotte. Le juge de la cour d'appel de Lyon s'est pour cela, rappelle l'arrêt, fondé sur la valeur actualisée de la grotte de Lascaux. Était-ce judicieux de se fonder ainsi sur le prix d'une transaction relative à une autre grotte ?
Les requérants estiment que non. La Cour estime... que ce n'est pas son problème.
Tout a bien été pris en compte dans le calcul, il n'y a pas de disproportion évidente, et les États ont encore une fois une marge de liberté grande en la matière. Il n'y a donc pas lieu de juger cette affaire, selon la Cour. La requête est déclarée irrecevable.
Rappelons, pour ceux qui voudraient mettre des illustrations sur ces mots, que le film de Werner Herzog "La grotte des rêves perdus", qui raconte l'histoire de la découverte de la grotte de Chauvet et en montre des images en trois dimensions, est toujours diffusé dans certaines salles françaises.