Internet : Un article diffamatoire peut être «rectifié» mais non «retiré» juge Strasbourg

Le rôle des autorités judiciaires n’est pas de réécrire l’histoire en ordonnant le retrait du domaine public de toute trace de publications en ligne jugées constitutives d’ « atteintes injustifiées à la réputation d’individus », a jugé ce matin la Cour européenne des droits de l’homme dans une décision concernant un avocat polonais.
Un jugement d’un tribunal polonais avait reconnu en mai 2002 le caractère diffamatoire d’un article écrit par deux journalistes du quotidien Rzeczpospolita concernant deux avocats qui auraient fait « fortune en assistant des hommes politiques pour des transactions commerciales douteuses ». Décision confirmée en appel en mai 2003 aux motifs que les allégations des deux journalistes étaient « largement fondées sur des ragots et des rumeurs » et que « les mesures minimales nécessaires pour vérifier les informations » n’avaient pas été prises. Les auteurs avaient été condamnés à payer une amende sous forme de versement à une œuvre caritative et à publier des excuses dans le journal.
Soutenant qu’ils venaient de se rendre compte que l’article litigieux était toujours disponible sur le site internet du journal, les deux avocats ont engagé une nouvelle procédure en juillet 2004 sollicitant le retrait de l’article du site et la publication de nouvelles excuses. La cour d’appel de Varsovie a confirmé en juillet 2006 le jugement du tribunal qui avait rejeté cette demande au motif que le retrait de l’article du site internet constituerait « une censure et équivaudrait à réécrire l’histoire » mais, ajoutait le tribunal, si la demande avait porté sur l’ajout à l’article figurant sur internet d’une note ou d’un lien informant les lecteurs des jugements rendus dans la procédure en diffamation initiale, elle aurait fait l’objet d’un « examen sérieux ».
C’est en vain qu’ils formèrent un pourvoi et se tournèrent alors vers la juridiction européenne sur le fondement de l’article 8 de la Convention relatif au droit au respect de la vie privée et familiale. La requête de l’un est déclarée irrecevable pour avoir été introduite au-delà du délai de six mois de la décision interne définitive et celle de l’autre fait l’objet de cette intéressante décision qui n’existe toutefois qu’en anglais.
Pour conclure qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8 invoqué, la Cour de Strasbourg
Me Smolczewski aurait dû demander, poursuit la Cour, la rectification des informations par « l’ajout à l’article litigieux d’une référence aux jugements rendus en sa faveur », ce qui permet « de ménager un équilibre entre les droits garantis par l’article 10 (liberté d’expression) et ceux protégés par l’article 8 (droit au respect de la vie privée) ». Cet arrêt signe la mort des demandes de retrait d’article, un article publié — qu’il s’agisse d’une publication dans un quotidien ou sur internet — ne peut être que « rectifié » et non « retiré ».