Liberté d'expression : La condamnation pénale de Julien Sanchez entérinée par Strasbourg

Profil Julien Sanchez présent sur Facebook, 16 mai 2023
Profil Julien Sanchez sur Facebook. Capture d'écran, 16 mai 2023.

La condamnation pénale de l’élu local RN Julien Sanchez pour ne pas avoir « promptement supprimé des commentaires illicites publiés sur son compte Facebook » ne méconnaît pas sa liberté d’expression, a jugé lundi la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme sur le recours par lui formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la « petite chambre » vingt mois plus tôt.

Conseiller régional Front/Rassemblement national de Languedoc-Roussillon depuis 2010 au moment des faits et maire de Beaucaire (Gard) depuis 2014 et vice-président du Rassemblement national depuis 2022, Julien Sanchez, 39 ans, avait posté, le 24 octobre 2011, sur le mur de son compte Facebook accessible à tous, un billet concernant le député européen Franck Proust ainsi rédigé :

« Alors que le FN a lancé son nouveau site internet national à l’heure prévue, une pensée pour le député européen UMP nîmois Franck Proust, dont le site devait être lancé aujourd’hui affiche en Une un triple zéro prédestiné […] ».

Ce n’est pas ce post qui était directement incriminé mais les commentaires au pied de ce billet particulièrement désobligeants et racistes de deux de ses « amis », identifiés comme S.B. et L.R. dans l’arrêt, à l’encontre de la compagne de Franck Proust, Leila Tella, qui obtint le retrait du commentaire de SB dès le lendemain et écrivit néanmoins le surlendemain au parquet pour se plaindre à l’encontre de l’élu local et de ses deux « amis ». Sanchez posta, le 27 octobre, un message invitant les « intervenants » à « surveiller le contenu de leurs commentaires » mais ne supprima pas le commentaire de LR.

Tous les trois cités devant le tribunal correctionnel de Nîmes pour la mise en ligne des propos litigieux constitutifs de faits de « provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes, notamment Leila Tella, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée », ils furent condamnés chacun, le 28 février 2013, à une amende de 4 000 euros et 1 000 euros au titre des frais irrépétibles. La Cour de cassation rejeta, le 17 mars 2015, le pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes, confirmatif quant à la culpabilité tout en réduisant l’amende d’un quart, qui avait retenu, d’une part, que « les propos définissaient clairement le groupe de personnes concernées,  savoir les personnes de confession musulmane et que l’assimilation de la communauté musulmane avec la délinquance et l’insécurité dans la ville de Nîmes tendait à susciter un fort sentiment de rejet ou d’hostilité envers ce groupe » et, d’autre part, qu’en rendant sciemment public son mur Facebook, M. Sanchez était devenu « responsable de la teneur des propos publiés qui, selon ses déclarations pour légitimer sa position, lui paraissaient compatibles avec la liberté d’expression » alors que sa qualité de personnage politique lui imposait, soulignaient les juges d’appel, « une vigilance d’autant plus importante ».

Saisie sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour a rendu, le 2 septembre 2021, un premier arrêt, par six voix contre une, concluant à la non-violation de l’article 10 relatif à liberté d’expression. Persuadé que l’assimilation de la communauté musulmane avec la délinquance et l’insécurité dans la ville de Nîmes relevait de sa liberté d’expression, M. Sanchez a sollicité le renvoi de son affaire devant la Grande Chambre qui, par treize voix contre quatre, a également concluCEDH, gde ch., 15 mai 2023, n° 45581/15, Sanchez c/ France. à la non-violation de l’article 10 en soulignant que les décisions des juridictions internes reposaient sur des « motifs pertinents et suffisants, et ce tant au regard de la responsabilité du requérant, en sa qualité d’homme politique, pour les commentaires illicites publiés en période électorale sur le mur de son compte Facebook par des tiers, eux-mêmes identifiés et poursuivis comme complices, qu’en ce qui concerne sa condamnation pénale ».

M. Sanchez n’en revient toujours pas, selon un communiqué publié sur son compte Twitter, que la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme confirme que le titulaire d’un mur Facebook puisse être « pénalement responsable des commentaires diffamatoires, injurieux ou haineux postés par des tiers malveillants ». Tous les coups sont permis, ajoute-t-il, pour « tenter de discréditer un adversaire politique » et c’est, affirme-t-il, « la chronique de la mort des comptes Facebook des élus locaux qui n’ont pas les moyens d’une vigilance constante en temps réel sur les posts des internautes ». Encore un peu, on en pleurerait ! Il n'a pas encore supprimé son compte Facebook ni son compte Twitter.