Liberté d'expression : Une injonction de retirer des enregistrements illicites justifiée malgré leur reprise par d’autres médias

Clap de fin, après dix ans d’une procédure en référé, la cour européenne des droits de l’homme a considéré jeudi qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 10 de la Convention et a rejeté les requêtes de la société éditrice du site Mediapart, de son président et directeur de publication Edwy Plenel et du journaliste Fabrice Arfi concernant l’injonction qui leur avait été faite d’avoir à retirer de leur site la publication d’extraits d’enregistrements illicites réalisés, entre mai 2009 et mai 2010, au domicile de la principale actionnaire du groupe l’Oréal Liliane Bettencourt, par l’ancien maître d’hôtel de la milliardaire, et publiés entre le 14 et le 21 juin 2010 sans que l’on sache la manière précise dont ils avaient eu accès à ces enregistrements qui avaient été remis, le 10 juin 2020, par la fille de la milliardaire à la brigade financière de la police nationale.
Dans un article publié le 16 juin 2010
Dans ses arrêts rendus sur renvoi après cassation, la cour de Versailles avait notamment retenu que l’exigence de l’information du public dans une société démocratique énoncée à l’article 10 de la Convention, qui aurait pu être satisfaite par un travail d’investigation et d’analyse mené sous le bénéfice du droit au secret des sources, ne peut légitimer la diffusion, même par extraits, d’enregistrements obtenus en violation du droit au respect de la vie privée d’autrui affirmé par l’article 8 de la même Convention et un second pourvoi n'a pas prospéré. Poursuivis, parallèlement, sur le plan pénal, les journalistes ont été relaxés au motif notamment qu’en publiant les extraits litigieux et les commentaires de contextualisation les accompagnant, ils n’avaient pas eu « l’intention de porter atteinte à l’intimité de la privée » de la milliardaire.
Saisie à maintes reprises pour ménager un juste équilibre entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression, la Cour
Au cas particulier, la Cour estime que la divulgation des enregistrements, dont Mediapart n’ignorait pas l'origine délictuelle, devait conduire les plaignants à faire preuve de « prudence et de précaution », indépendamment du fait qu’ils auraient « agi en vue, entre autres, de dénoncer l’abus de faiblesse dont était victime Mme Bettencourt », rappelant, à l’instar de la Cour de cassation, que l’information du public sur ces questions aurait pu se faire « autrement » qu’en divulguant les enregistrements illicites, la cour d’appel de Bordeaux, qui les a relaxés, ayant même souligné « la dimension spectaculaire inutile » pour ce qui est de leur choix de donner accès à une partie des enregistrements eux-mêmes.
Les juridictions nationales ont pu légitimement estimer, retient la Cour, que le passage du temps n’avait pas fait disparaître l’atteinte à la vie privée compte tenu de l’ampleur de l’impact des publications qu’elles ont apprécié au regard de la manière dont les propos retranscrits avaient été enregistrés, de la vulnérabilité, et, plus généralement, de l’importance et de leurs conséquences dommageables pour les intéressés. La sensibilité des informations attentatoires à la vie privée et le caractère continu du dommage causé par l’accès aux retranscriptions écrite et audio sur le site du journal appelait une mesure susceptible de faire cesser le trouble constaté. Et c’est à juste titre, estime la Cour, que la reprise des informations litigieuses par d’autres médias n’a pas été prise en considération.