Mineurs non accompagnés étrangers : Sévère condamnation de la France par Strasbourg

Le défaut de prise en charge par les autorités françaises d’un mineur non accompagné étranger en situation irrégulière avant et après le démantèlement des camps de fortune installés dans la zone sud de la « lande » de Calais constitue, a jugé la Cour européenne des droits de l’homme, une violation de l’article 3 de la Convention relatif aux traitements inhumains et dégradants.
En l’espèce, saisi par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), le juge des référés du tribunal administratif de Lille avait enjoint au préfet du Pas-de-Calais, par ordonnance en date du 2 novembre 2015, de « procéder au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement » et de créer sur le site de la lande de Calais des installations sanitaires et des commodités hygiéniques.
Si le gouvernement indique que les équipements et les mesures d’hygiène et de sécurité requis par le juge des référés furent intégralement mis en œuvre, l’adolescent à l’origine de cette saisine de la Cour européenne, Jamil Khan, soutient que la recommandation générale du Défenseur des droits du 20 avril 2016, que le recensement des mineurs isolés réalisé à partir de janvier 2016 n’a pas été « suivi de la mise à l’abri effective des intéressés », le Conseil général s’étant borné à « organiser des maraudes composées de personnes peu formées et dépourvues de traducteurs qui n’ont pas permis de préparer des démarches de placement ». Le 12 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais décida d’ordonner l’évacuation de la zone sud de la lande de Calais qui eut lieu entre le 29 février et le 16 mars 2016, la zone nord ayant été fut évacuée à la fin du mois d’octobre 2016.
Jamil explique avoir quitté l’Afghanistan à la fin du mois d’août 2015 pour se rendre au Royaume-Uni, précisant qu’il s’est rendu à Calais en suivant des exilés dans l’espoir de trouver un moyen de passer au Royaume-Uni et s’est alors installé dans une cabane dans la zone sud de la lande de Calais où il est entré en contact avec des ONG, dont la « Cabane juridique » qui, le 19 février 2016, a saisi le juge des enfants d’une demande de placement provisoire lequel a désigné un administrateur ad hoc et ordonné qu’il soit confié provisoirement à la direction de l’enfance et de la famille de Calais à compter du 23 février 2016.
Jamil indique que ni le département ni les services préfectoraux n’ont agi pour sa mise à l’abri et le gouvernement excipe l’impossibilité pour les services de l’aide sociale d’exécuter la mesure de placement dans la mesure où Jamil ne s’est pas présenté à eux, ni son avocat, ni son administrateur ad hoc ni l’association qui les suivait ne les ayant informés de l’endroit où il se trouvait. Au cours de la semaine du 20 mars 2016, Jamil quitta la lande et entra clandestinement en Angleterre où il fut pris en charge par les services britanniques de l’aide à l’enfance.
Invoquant en particulier l’article 3 de la Convention relatif aux traitements inhumains et dégradants, Jamil a dénoncé les carences des autorités françaises au regard de leur obligation de protection des mineurs isolés étrangers qui, comme lui, se trouvaient sur le site de la lande de Calais et se plaint que l’ordonnance de placement provisoire dans les structures de l’aide sociale à l’enfance n’ait pas été exécutée.
La Cour
A défaut de prise en charge par les autorités et malgré le soutien qu’il a pu trouver auprès d’ONG, Jamil, souligne la Cour, a vécu durant six mois dans un environnement manifestement inadapté à sa condition d’enfant, caractérisé notamment par l’insalubrité, la précarité et l’insécurité. C’est au motif de la situation de danger dans laquelle il se trouvait que le juge des enfants de Boulogne-sur-Mer a ordonné, le 22 février 2016, qu’il soit confié à l’aide sociale à l’enfance et pour la Cour, le défaut de prise en charge, déjà extrêmement problématique avant le démantèlement de la zone sud de la lande l’était encore plus après cette opération du fait de la destruction de la cabane où il vivait et de la dégradation générale des conditions de vie sur le site.
Le fait qu’il ait fallu attendre que le juge des enfants ordonne le placement du requérant pour que son cas soit effectivement considéré par les autorités compétentes conduit en lui-même à s’interroger, selon la Cour, sur le respect par la France de l’obligation de « protection et de prise en charge des mineurs isolés étrangers » qui résulte de l’article 3 de la Convention. Les autorités compétentes n’avaient pas même identifié Jamil, s’offusque la Cour, alors qu’il se trouvait sur le site de la lande depuis plusieurs mois et que « son jeune âge aurait dû particulièrement attirer leur attention ». Les moyens mis en œuvre par la France pour identifier les mineurs isolés étrangers présents sur la lande étaient, tranche la Cour, « insuffisants ».
Si, concède la Cour, les mineurs isolés étrangers présents sur la lande n’adhéraient pas toujours aux mesures de prise en charge proposées, elle relève que, selon le Défenseur des droits, les réticences des mineurs trouvaient leur cause dans le fait que « le dispositif de mise à l’abri était inadapté à leur situation » et que ces réticences ne pouvaient de toute façon justifier l’inertie des pouvoirs publics, qui avaient l’obligation d’assurer « leur protection » et donc de s’interroger sur « les moyens d’y parvenir en tenant compte de la spécificité de leurs cas ».
Jamil, quant à lui, déclare avoir été favorable à une solution de mise à l’abri et la Cour de rappeler qu’il s’agissait d’un enfant de 12 ans qui n’avait « vraisemblablement » qu’une « connaissance limitée de la langue française » et ne se dit guère convaincue par l’affirmation du gouvernement selon laquelle il « appartenait au requérant d’effectuer lui-même les démarches nécessaires à la mise en œuvre de sa prise en charge », dédouanant les ONG, l’avocate qui l’avait représenté dans la procédure ayant abouti à l’ordonnance du 22 février 2016, ou à l’administrateur ad hoc, de ne pas l’avoir conduit dans le foyer désigné par les autorités dans la mesure où « cette mission relevait manifestement de la responsabilité de ces autorités elles-mêmes ».
La Cour se dit toutefois consciente de la complexité de la tâche des autorités internes eu égard à la difficulté d’identifier les mineurs parmi les personnes présentes sur le site et à leur proposer des prises en charge adaptées alors qu’ils n’étaient pas toujours demandeurs et si Jamil a fait saisir le juge des enfants d’une demande de placement provisoire, il est établi qu’il n’avait pas pour objectif de rester en France mais projetait de se rendre au Royaume-Uni.
La Cour semble être prise entre deux chaises, relevant d’une part que les autorités internes ne sont pas totalement restées inactives puisqu’elles ont effectué des démarches afin d’exécuter l’ordonnance du juge des enfants du 22 février 2016 mais les mêmes autorités n’ont pas fait « tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour répondre à l’obligation de prise en charge et de protection » qui pesait sur elles s’agissant d’un mineur isolé étranger en situation irrégulière, c’est-à-dire d’un individu relevant de la catégorie des personnes les plus vulnérables de la société, qui a dû vivre, pendant plusieurs mois, dans le bidonville de la lande de Calais, dans « un environnement totalement inadapté à sa condition d’enfant et dans une précarité inacceptable au regard de son jeune âge ».
Ces circonstances particulièrement graves et l’inexécution de l’ordonnance du juge des enfants destinée à protéger un enfant constituent, juge la Cour, une violation des obligations pesant sur la France au titre de l’article 3 de la Convention et il est mis 15 000 euros à la charge de la France en réparation du dommage moral subi par le plaignant.
Le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, dit prendre acte avec « gravité » de cet arrêt qualifié de « majeur » qui condamne la France pour « traitement dégradant » d’un enfant de 12 ans ayant vécu plusieurs mois dans le bidonville de la lande de Calais et rappelle les obligations de l’État à l’égard des mineurs non accompagnés migrants dont la situation d’extrême vulnérabilité « doit prévaloir sur la qualité d’étranger ». Lorsqu’il deviendra définitif, cet arrêt, souligne-t-il, pourra être « transposé » à toutes les situations comparables qui « perdurent » et dont il dit être régulièrement saisi.