Presse : La Cour de Strasbourg valide un entretien en caméra cachée

L’ingérence dans la vie privée d’un courtier n’est pas d’une gravité telle qu’elle doive occulter l’intérêt du public à être informé de malfaçons en matière de courtage en assurances, a jugé la cour européenne des droits à l’homme concernant l’utilisation de caméras cachées par des journalistes pour sensibiliser le public sur un sujet d’intérêt général.
En l’espèce, une journaliste du programme télévisé « Kassensturz » de la chaîne suisse alémanique (SR DRS), avec la complicité de trois de ses confrères, avait rencontré un courtier en assurances, le 26 février 2003, en se faisant passer pour une cliente, dans une pièce où étaient dissimulées deux caméras. L’enregistrement était directement transmis dans une pièce voisine où se tenaient une autre journaliste et un spécialiste en assurances. À la fin de l’entretien, le courtier fut informé que l’entretien avait été enregistré mais il ne souhaita pas faire de commentaires et un mois plus tard, le 25 mars 2003, des séquences de l’enregistrement furent diffusées dans l’émission« Kassensturz » avec le visage et la voix du courtier masqués.
La journaliste-cliente fut condamnée à 5 jours-amendes et les trois autres journalistes à 15 jours-amendes en novembre 2007 mais par un arrêt du 24 février 2009, le tribunal supérieur du canton de Zürich acquittant les prévenus du chef de « violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d’un appareil de prise de vues » et la sanction fut réduite à 4 jours-amendes et 12 jours-amendes respectivement. La cour européenne des droits de l’homme a été saisie le 3 avril 2009 sur le fondement de l’article 10 de la Convention relatif à la liberté d’expression.
La Cour
Si le courtier pouvait raisonnablement croire au caractère privé de l’entretien, estime la Cour, il n’en demeura pas moins que le reportage n’était pas focalisé sur sa personne mais « sur certaines pratiques commerciales mises en œuvre au sein d’une catégorie professionnelle » et en conclut que l’ingérence dans la vie privée du courtier « n’est pas d’une gravité telle qu’elle doive occulter l’intérêt du public à être informé des malfaçons alléguées en matière de courtage en assurances » d’autant que les intéressés ont agi « de bonne foi sur la base de faits exacts et fournissent des informations "fiables et précises" dans le respect de la déontologie journalistique [suisse] ».
Un des sept magistrats de la Cour, le juge belge Paul Lemmens, a toutefois émis une opinion dissidente et considère, quant à lui, que « l’enregistrement et la diffusion d’une conversation non publique sont interdites quelle qu’en soit la finalité, journalistique ou autre ».