Abus de marché : Visites domiciliaires et saisies par l’AMF

Dès lors que le juge des libertés et de la détention a rendu une ordonnance autorisant l'Autorité des marchés financiers (Amf) à procéder à des visites domiciliaires et des saisies dans un lieu déterminé, les enquêteurs peuvent, sous certaines conditions, saisir les ordinateurs et les téléphones des personnes de passage dans ce lieu, a finalement jugé vendredi la Cour de cassation réunie en assemblée plénière à l’occasion du pourvoi formé par les représentants de la société marocaine Diana Holding à l’encontre de l’arrêt sur renvoi qui n’avait pas suivi l’argumentation suggérée par la chambre commerciale.
En l’espèce, au mois d’avril 2015, la société Diana Holding a réalisé une opération boursière massive — portant sur 1,05 million d'actions et 30 mille bons de souscription de la société Marie Brizard Wine & Spirits [FR0000060873 MBWS] cotée à Paris — et c’est à cette occasion que l’Amf avait ouvert une enquête sur les conditions dans lesquelles des informations privilégiées, que détenait le directeur général de la société Marie Brizard, ont pu être utilisées par la société Diana Holding avant leur communication au public.
Le juge des libertés et de la détention avait autorisé les enquêteurs de l’Amf à procéder à une « visite domiciliaire » dans les locaux charentonnais de Marie Brizard à l’occasion de l’un de ses conseils d’administration et « à saisir tout élément susceptible de caractériser la communication ou l’utilisation d’une information privilégiée » et c’est ainsi que les représentants de la société Diana Holding, Rita Zibner et Serge Heringer, ont vu leurs ordinateurs et smartphones saisis.
Saisi par la société Diana Holding d’une contestation de l’ordonnance du juge des libertés et de la régularité des opérations menées par l’Amf lors du conseil d’administration de Marie Brizard, le premier président de la cour d’appel de Paris a jugé régulières l’ordonnance et les opérations diligentées, décision censurée par la chambre commerciale de la Cour de cassation1 au motif que « seuls les documents et supports d’information qui appartiennent ou sont à la disposition de ‘l’occupant des lieux’ peuvent faire l’objet d’une saisie » et, au cas particulier, les deux représentants de la société Diana Holding n’étant que « de passage au sein de la société Marie Brizard, leurs ordinateurs et téléphones ne pouvaient être saisis ».
Sur renvoi après cassation, la cour de Paris2 n’a pas suivi la juridiction suprême et a retenu que les représentants de la société Diana Holding devaient être considérés comme "occupants des lieux" au motif qu’une conception « trop restrictive de cette notion pourrait entraver » l’action du gendarme de la bourse dans sa lutte contre « les abus de marché ». C’est ainsi que le dossier a fait l’objet d’un réexamen par la formation de jugement la plus solennelle de la Haute juridiction judiciaire3 qui, sous réserve de satisfaire à la double condition que le juge des libertés a « désigné le lieu comme pouvant faire l’objet d’une visite domiciliaire et de saisies » et que les objets saisis ont un lien avec l’enquête, dit pour droit que « les documents, ordinateurs et téléphones qui se trouvent sur [le] lieu déterminé peuvent être saisis par les enquêteurs de l’Amf », le fait que ces documents, ordinateurs et téléphones appartiennent aux occupants des lieux ou à des personnes de passage n’ayant pas à être pris en considération.
Une solution nouvelle qui ne porterait pas une « atteinte excessive », selon les Hauts magistrats, au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales si et seulement si les visites et saisies ont l’objet d’une autorisation d’un juge qui en assure le contrôle, qu’elles sont strictement nécessaires à la recherche de l’infraction objet de l’enquête, que les occupants des lieux et personnes de passage sont informés de leurs droits et, enfin, que les opérations en question peuvent être contestées devant un premier président de cour d’appel.
Une solution nouvelle qui ne doit sans doute pas satisfaire les deux représentants de la société Diana Holding concernés mais il leur reste un ultime espoir qu’est la Cour européenne des droits de l’homme pour vérifier si l’on peut effectivement fouiller dans les affaires d’une personne se trouvant fortuitement dans un lieu objet d’une visite d’enquêteurs.