Affaire Kerviel : Les juges doivent tenir compte des fautes de SocGen pour évaluer l'indemnité due

La formation plénière de la chambre criminelle de la cour de cassation a rejeté le pourvoi de Jérôme Kerviel à l’encontre de l’arrêt qui l’avait condamné à cinq ans d’emprisonnement dont deux ans avec sursis pour « abus de confiance, manipulations informatiques, faux et usage » mais a, en revanche, cassé les dispositions civiles qui, pour le condamner à payer 4,9 milliards d’euros, ne tenaient pas compte des fautes commises par la Société générale.

Opérateur de marché à la Société générale depuis janvier 2005, Jérôme Kerviel avait pris des positions hautement spéculatives non autorisées qui, lorsqu’elles ont été « découvertes » en janvier 2008, atteignaient 52,2 milliards d’euros avec une perte latente de 2,78 milliards d’euros et qui ont finalement été dénouées par la banque moyennant une perte de 4,9 milliards d’euros après déduction d’un gain de 1,47 milliard d’euros réalisé le mois précédent, en décembre 2007.

Pour ce qui est des dispositions pénales, la cour de cassationCrim. 19 mars 2014, n° 12-87416, Jérôme Kerviel c/ Société générale. approuve la cour d’appelParis, ch. 5-12, 24 oct. 2012, Jérôme Kerviel c/ Société générale. qui avait retenu que Société générale n’avait pas connaissance des activités frauduleuses de son salarié pour reconnaître ce dernier coupable d’abus de confiance pour avoir utilisé « au mépris de son mandat et au-delà de la limite autorisée, les moyens techniques qui lui étaient confiés ». De même pour le délit de manipulations informatiques et celui de faux et usage concernant sept courriels fictifs censés émaner de tiers et destinés à masquer les opérations frauduleuses.

Pour la réparation du préjudice allégué par Société générale correspondant à la perte nette de 4,9 milliards d’euros lors du débouclage des opérations spéculatives de M. Kerviel, la juridiction suprême est fort critique et casse l’arrêt sur ce point au visa de l’article 2 du code de procédure pénale et de l’article 1382 du code civil selon lesquels lorsque plusieurs fautes ont concouru à la réalisation du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée et les juges du fond doivent en tenir compte.

Pour condamner Jérôme Kerviel à payer à son employeur la somme de 4,9 milliards d’euros à titre de dommages-intérêts correspondant à l’intégralité du préjudice financier, la cour d’appel de Paris avait retenu qu’il avait été « l’unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude ayant provoqué le dommage, lequel trouve son origine dans la prise de positions directionnelles, pour un montant de 50 milliards d’euros, dissimulées par des positions fictives, en sens inverse, du même montant, et que la banque n’a pas eu d’autre choix que de liquider sans délai les positions frauduleuses ». Tout en constatant l’existence et la persistance, pendant plus d’un an, d’un défaut de contrôle hiérarchique et l’absence d’un quelconque profit retiré par les infractions commises, les juges du fond avaient cru pouvoir estimer qu’« aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d’une faute de la victime, le montant des réparations dues à celle-ci par l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens ».

Zéro pointé pour la cour de Paris, dit la chambre criminelle, les fautes commises par Société générale ont « concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières » et il convient d’en tenir compte pour déterminer la part du préjudice indemnisable. Ce sera la tâche de la cour de Versailles à qui est renvoyé ce dossier.

Cette solution n’est pas nouvelle, indique la cour de cassation dans un communiqué rappelant qu’il s’agit d’une jurisprudence constante de toutes les chambres remontant à un arrêt de la chambre mixte du 28 janvier 1972 concernant les infractions volontaires et involontaires contre les personnes selon laquelle « lorsque plusieurs fautes ont concouru au dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure qu’il appartient aux juges du fond de déterminer ». Quelle que soit la nature des infractions commises, les juridictions pénales qui constatent l’existence d’une faute de la victime ayant concouru au dommage sont amenées « à en tirer les conséquences sur l’évaluation du montant de l’indemnité due à cette dernière par le prévenu ».

Même réduite de 4,9 milliards d’euros à 3, 2 voire moins d’un milliard d’euros, cela ne va vraiment pas arranger les affaires de M. Kerviel qui devra, de surcroît, à présent, passer par la case prison à la suite de cet arrêt définitif quant à sa condamnation de trois ans d’emprisonnement ferme.

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