Clandestins : Confirmation de la condamnation ferme de l’avocat André Mikano

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’avocat spécialisé dans la défense des étrangers, André Mikano du barreau de Bobigny (Seine-Saint-Denis), qui avait été condamné par les juges du fond à deux ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et 100 000 euros d’amende pour « aide à l’entrée ou séjour irrégulier en bande organisée » dans le cadre de sa participation à une filière marocaine.
Pour le confirmer le jugement
Aux clandestins, indiquait-il, « je donne rendez-vous aux clandestins dans Casablanca, je vérifie qu'ils ont bien versé l'argent chez une personne de confiance, je les oriente vers l'agence Air-France, rue des Far ou Rabat afin qu'ils réservent leur voyage, je leur explique qu'ils doivent prendre un vol avec transit, tel que la Turquie ou le Brésil. Quand ils sortent, je leur remets une carte SIM d'un réseau de téléphonie française achetée à Paris, je leur conseille de prendre deux batteries, je leur demande de prendre un sac léger. Le clandestin vient avec son propre téléphone portable et deux batteries pour éviter de tomber en panne. Je donne le numéro [...] aux clandestins quand c'est moi qui les ait recrutés et inversement quand c'est lui qui les a recrutés. Les puces utilisées par les clandestins me reviennent rarement arrivés à Paris, ils me contactent et je les guide. Les horaires de passage se font au hasard en fonction des places disponibles dans l'avion. J'adapte mon guidage en fonction du lieu de stationnement de l'avion. Dès le départ, le clandestin a 1 500 euros en espèces dans sa poche et il sait que cela servira à payer les honoraires de notre avocat qui ne prend que des espèces. Arrivé à Paris, s’il y a un contrôle de police, on passe au plan B et c'est l'avocat qui les fera sortir de toute manière. Je les rassure en leur disant que l'avocat est au courant de l'existence du réseau et qu'il travaille pour nous ».
1 500 euros en espèces pour chaque clandestin défendu
« Pour mon réseau, poursuivait-il, il y a un avocat qui est là exclusivement. Il s'appelle Mikano, je le lui ai jamais parlé au téléphone et je ne l'ai jamais vu, c'est [...] qui a le contact, on a appris que Mikano faisait sortir beaucoup de clandestins et on s'est approché de lui pour le mettre dans le réseau, c'est [...] qui s'est occupé de son recrutement. Cela fait un an environ qu'il travaille pour nous, il demande 1 500 euros par clandestin défendu, il exige d'être payé uniquement en espèces, c'est lui qui a fixé le tarif. Peu lui importe la situation financière du clandestin, il doit recevoir 1 500 euros pour le défendre. Mikano est connu parmi les trafiquants de migrants, il sait qu'il travaille pour notre réseau qui se charge de faire passer des clandestins. D'ailleurs, il travaille avec d'autres réseaux d'Amérique du Sud. Je connais le fax de Mikano, c'est [...] qui me l'a communiqué. Pour les fausses demandes d'asile politique, c'est Mikano qui nous a conseillés sur le mode opératoire : à savoir, il fallait déclarer être menacé dans son pays par les autorités bien que nous, au Maroc, on n'a pas de souci particulier. C'est sa façon de travailler en mentant à la justice pour faire libérer nos clients ».
« Le réseau, expliquait un autre passeur, a rencontré il y a quelque temps des problèmes parce que les clandestins étaient sécurisés par les policiers et il a fallu trouver une solution. J'ai appris que des clandestins avaient demandé [...] et avaient été libérés grâce à un avocat. Depuis, pour mon réseau, il y a un avocat qui est là exclusivement, il s'appelle Mikano, je le lui ai jamais parlé au téléphone et je ne l'ai jamais vu, c'est [...] qui a le contact. On a appris que Mikano faisait sortir beaucoup de clandestins et on s'est approché de lui pour le mettre dans le réseau, c'est [...] qui s'est occupé de son recrutement. Je connais le fax de Mikano, c'est […] qui me l'a communiqué. Mikano a conseillé les choses suivantes pour réussir ces libérations : il faut que les clandestins ne parlent pas français, ne communiquent pas son nom, refusent de signer tous les documents que les policiers pourraient lui présenter et surtout en cas de réacheminement au Maroc, refuser d'embarquer. Si on n'a pas besoin de l'avocat, les 1 500 euros reviennent à [...] et c'est déduit de sa part. Mikano a un assistant qui gère le paiement et le transport, c'est lui qui fait l'intermédiaire entre [...] et Mikano, comme cela Mikano se fait moins remarquer. L'avocat est toujours rémunéré avant ou après la plaidoirie, ça dépend, le clandestin régie la note et s'il n'a pas assez d'argent [...] complète, remet l'argent à l’assistant qui le remet ensuite à Mikano. [...] prévient Mikano dès l'arrivée des clandestins en zone d'attente où il est prévenu d'avance. Quand Mikano est en vacances, on arrête l'envoi des clandestins. J'en suis informé par [...] qui tient l'information de son assistant ».
À la question, qui a mis en place les faux garants qui servent de garantie de représentation pour faciliter la libération du tribunal, le passeur répond que c'est l'avocat qui « a mis cela en place, [...] doit trouver des faux garants, s’il n'en trouve pas, Mikano en trouvera pour notre réseau. Pour la rémunération des faux garants, Mikano se sert des 1 500 euros qu'il reçoit, mais je ne sais pas combien ils touchent. Je ne connais pas le nom des garants ce n'est pas ma partie, c'est la gestion de Mikano ». À la question encore plus précise de savoir si Me Mikano savait-il qu'il œuvrait pour un réseau d'immigration clandestine, le passeur répond qu’il le savait puisque lorsque « nous avons des clandestins en zone d'attente, il s'adresse à moi et non à la famille pour récupérer son argent ».
Des actes concrets commis au-delà de l'exercice des droits de la défense
Pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de Me Mikano, les premiers juges avaient ainsi retenu, après avoir rappelé que le délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France ou dans un état partie à la convention de Schengen, en bande organisée « ne saurait s'appliquer à l'avocat, qui exerce régulièrement la défense d'un client », mais « par contre, s'applique à l'avocat qui, par des actes concrets commis au-delà de l'exercice des droits de la défense, agit sciemment dans le cadre d'une organisation frauduleuse ayant pour objet de permettre ou de faciliter l'entrée, la circulation et le séjour irréguliers d'étrangers en France », ce qu’avait approuvé la cour d’appel pour retenir que, dans la période de prévention soit de 2007 au 21 mai 2010, la participation de M. Mikano « à une organisation frauduleuse correspondant à un "réseau" ou "bande organisée", dont la finalité était de permettre ou à de faciliter l'entrée, la circulation et le séjour irréguliers d'étrangers en transit à l'aéroport de Roissy, dépourvus de tout document de voyage autorisant leur entrée sur le territoire national français, intégrant le recours à l'avocat unique pour assurer la défense du ressortissant clandestin marocain devant le juge des libertés et de la détention, et dont les honoraires d'intervention étaient inclus dans le prix du passage conçu comme un "paquet" ou un "forfait" tous frais compris, selon un prix fixé en amont, en dehors de toute situation litigieuse et sans aucune prestation immédiate ».
Le tribunal avait également relevé que M. Mikano privilégiait « une clientèle totalement captive, dont l'objectif était de pénétrer irrégulièrement sur le territoire français, grâce à l'assurance depuis le départ du Maroc de pouvoir bénéficier d'un ensemble intégré de services incluant la prestation de défense en cas d'interpellation et de maintien en zone d'attente […] la conscience de contribuer au fonctionnement d'une bande organisée se déduisait des consignes données aux étrangers de ne pas donner le nom de l'avocat tant qu'ils se trouvaient en zone d'attente, afin qu'aucun rapprochement ne puisse être opéré, et même de dire qu'ils n'avaient pas d'avocat alors que l'intervention de celui-ci avait été réglée en amont […] Mikano incitait au recrutement de faux garants, qui acceptaient moyennant rémunération, de fournir un hébergement fictif, invitait des étrangers à se présenter comme des membres de la famille du clandestin à l'audience et, à défaut, offrait lui-même d'aller "à la chasse" aux garants, expression explicite sur le défaut de sincérité des attestations recherchées et produites ensuite en justice […] la mise en scène destinée à donner force et crédit au document mensonger et à tromper la religion du juge à l'audience et considéré que ces méthodes sont constitutives d'un exercice irrégulier de l'office de l'avocat, quand bien même, dans certains cas, elles n'auraient pas été déterminantes de la décision du juge ».
Pour la cour d’appel, le concours apporté par M. Mikano — dans le cadre d'une organisation recrutant les candidats à l'immigration au Maroc, leur fournissant des billets d'avion, une carte téléphonique et les coordonnées de leur interlocuteur en France, leur donnant les consignes à suivre sur l'aéroport mais également en zone d'attente et leur assurant l'assistance d'un avocat, en cas de besoin, le tout moyennant paiement d'une somme comprise entre 4 000 et 7 500 euros, lui-même étant rémunéré 1 500 euros par personne — avait été fourni « en pleine connaissance de cause ».
Une atteinte au secret professionnel et à l'exercice des droits de la défense
À l’appui de son pourvoi, Me Mikano invoquait et vainement fait plaider, d’une part, l’exemption légale prévue à l'article L. 622-4 du code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dès lors « l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques » et qu’il avait déjà été jugé par la juridiction suprême que « l'incrimination d'aide au séjour irrégulier d'un étranger en France, définie dans des termes suffisamment clairs aux articles L. 622-1 et L. 622-4 du code d'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne saurait s'appliquer à un avocat assurant régulièrement l'assistance et la défense d'un étranger séjournant sur le territoire français » et, d’autre part, l'article 6 de la Convention européenne qui interdit à un État membre d'entraver la mission d'assistance d'un avocat envers son client sauf à caractériser à son encontre la méconnaissance d'une disposition légale. Pour le spécialiste de la défense des étrangers, il n’y avait pas lieu de tenir compte « des modalités de sa désignation, des actes effectués ni du mode de sa rémunération » pour apprécier l'infraction « sans porter atteinte au secret professionnel, à la liberté de choix du défenseur et à l'exercice des droits de la défense ».
Pour rejeter le pourvoi, la chambre criminelle de la Cour de cassation
Des écoutes téléphoniques ordonnées dans le cadre de cette instruction ont fait apparaître que M. Mikano était en relation fréquente, notamment au sujet de ses honoraires, avec un couple organisant l'immigration de clandestins et qu’il avait été recruté pour défendre ces clandestins moyennant 1 500 euros par étranger, avait mis un système de faux garants en place et lorsqu'il était en vacances, l'immigration était suspendue. Mis en examen pour aide à l'entrée ou au séjour irrégulier d'étrangers en bande organisée, M. Mikano a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de ce chef, déclaré coupable de ce délit et condamné à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et 100 000 euros d'amende.
Un forfait tous frais compris, y compris la prestation de l'avocat
L'arrêt confirmatif, poursuit la chambre criminelle, énonce qu'il est apparu, tant au travers des déclarations de membres du réseau que de l'exploitation de la téléphonie des différents protagonistes que M. Mikano était au courant des pratiques du réseau dont il était l'unique avocat, il a suscité la recherche et la production de "faux garants" et ses honoraires d'intervention étaient inclus dans le prix du passage conçu comme un « forfait » tous frais compris et la prestation de l'avocat ainsi conçue peut être analysée « non comme l'exercice régulier de l'office de la défense, mais comme l'un des moyens envisagés pour pénétrer sur le territoire français », ce qu’elle approuve pour dire que le moyen invoqué n’est pas fondé.
Sur le quantum de la peine, la cour d’appel avait retenu que les agissements répétés de M. Mikano s'inscrivent « dans la durée et dans le cadre d'une bande organisée […] la manière d'opérer, la nature de l'infraction commise, l'importance du profit financier tiré par ce dernier, le détournement de la mission de défense opéré par l'intéressé, la volonté de celui-ci de porter atteinte à l'autorité de l'État et de tirer profit de la misère humaine de jeunes candidats à l'immigration signent un ancrage certain de M. Mikano dans la délinquance organisée à visée lucrative et un professionnalisme qui doivent être sanctionnés en dernier ressort par une peine d'emprisonnement sans sursis, la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur, par ailleurs déjà condamné à deux reprises, rendant cette peine nécessaire en dernier ressort et toute autre sanction étant manifestement inadéquate ».
Et sur ce point, également, la chambre criminelle abonde dans le sens des juges du fond qui avaient mis l’accent sur la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur qui — déjà condamné à deux reprises — ne peut bénéficier d’aucune autre sanction qui serait manifestement inadéquate, étant précisé que la Haute juridiction indique ne pas disposer de « suffisamment d'éléments précis, actualisés et vérifiés concernant la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ou son évolution pour apprécier la possibilité de prononcer en sa faveur une mesure d'aménagement de peine ».
La défense de Me Mikano devant la Cour de cassation était assurée par la SCP Spinosi et Sureau. Une défense qui n’a manifestement pas été à la hauteur si l'on en croit la pique quant aux éléments imprécis, non-actualisés et invérifiés du condamné qui ne pourra pas de ce fait bénéficier d'un aménagement de peine.