Cour d'assises : L'absence de motivation des arrêts conforme à la Constitution

Une cour d'assises. Photo DR

L'absence de motivation des arrêts des Cour d'assises est conforme à la Constitution. Telle est la décision rendue publique par le Conseil Constitutionnel le 1er avril 2011.

Les neuf SagesDéc. n°2011-113/115 QPC, 1er avr. 2011, Xavier P. et a. ne censurent pas la jurisprudence de la Cour de cassation et rejettent donc deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) contestant ce système instauré à la Révolution. Reste à savoir si cette décision mettra un terme à la controverse qui agite sphères politiques et juridiques depuis deux ans.

C'était sans conteste une décision très attendue. Car depuis la résurrection du débat suite à une décision de la Cour Européenne des Droits de l'Homme du 13 janvier 2009CEDH 13 janv.2009, Taxquet c/ Belgique, n°926/05., le Conseil Constitutionnel ne s'était pas encore prononcé sur la question de la non-motivation des verdicts d'assises.

Et pour cause: la Cour de cassation, fréquemment sollicitée à ce sujet, a longtemps refusé de transmettre les QPC relatives à l'absence de motivation des arrêts d'assises au Conseil Constitutionnel. La haute juridiction judiciaire explique cette position dans trois arrêt du 19 mai 2010Crim, 19 mai 2010, n°09-83328.. Selon elle, la question posée tendait à contester, non la constitutionnalité des dispositions, mais l'interprétation donnée par la Cour sur le caractère spécifique de la motivation des arrêts des cours d'assises.

L'intime conviction fait foi

La Cour de cassation a toutefois saisi le Conseil Constitutionnel, les 21 et 25 janvier 2011, sur deux QPC contestant cette absence de motivationCrim., 19 janv. 2011, n° 10-85159 et 10-85305.. En droit français, les Cours d'assises ne sont pas soumises à l'obligation de motiver leurs verdicts, contrairement aux tribunaux correctionnels. Cette particularité résulte de l'article 353 du code de procédure pénaleArt. 353 c. proc. pén. : « Avant que la cour d'assises se retire, le président donne lecture de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations : "La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : 'Avez-vous une intime conviction ?' " ». qui prévoit que les juges et jurés fondent leur décision selon leur « intime conviction »

Les Sages de la rue Montpensier ont donc examiné, en audience publique le 15 mars, cette question sensible: l'absence de motivation des arrêts de cour d'assises porte t-elle atteinte au droit à un procès juste et équitable, au principe d'égalité devant la loi et d'égalité devant la justice ? 

Dans sa décision, le Conseil Constitutionnel a confirmé l'analyse de la Cour de cassation en réaffirmant le principe de « l'intime conviction ». De plus, les Sages ont jugé que les garanties prévues par le législateur, dans le cadre des jugements d'assises, encadraient suffisamment la procédure de délibération pour exclure toute forme de jugement arbitraire. 

Parmi ces garanties: la formulation de questions claires et précises au jury populaire pour garantir une décision éclairée, le vote à la majorité absolue des jurés en cas de verdict défavorable pour l'accusé et l'existence d'un double degré de juridiction offrant une possibilité d'appel de l'arrêt.

Une décision contraire à la jurisprudence européenne ? 

Si les détracteurs du système français ont longtemps invoqué les décisions de la Cour européenne pour relancer le débat, la décision du Conseil Constitutionnel ne contredit pas la jurisprudence européenne.

Dans un arrêt Taxquet c/ Belgique du 13 janvier 2009, la Cour européenne avait condamné la Belgique pour violation du droit à un procès équitableLe droit à un procès juste et équitable est garanti par l'article 6§1 de la CEDH. en raison d'un arrêt d'assises non-motivé. Car à l'instar de la France, le système juridique belge n'impose pas d'obligation de motivation pour les jugements d'assises. La Cour avait notamment estimé que «les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent».

Malgré cette décision, la Cour de cassation n'est jamais revenue sur sa position. Dans un arrêt du 14 octobre 2009Crim., 14 oct. 2009, n°08-86480., la haute juridiction a considéré que l'absence de motivation des arrêts d'assises était conforme aux exigences légales et conventionnelles. 

Dans un arrêt du 16 novembre 2010CEDH, Gde ch., 16 nov 2010, Taxquet c/ Belgique, n°926/05., la Cour européenne a modéré ses propos en déclarant ne pas vouloir « uniformiser » les systèmes juridiques existants. De plus, la Cour a considéré que la motivation des verdicts d'assises ne constituait pas une exigence conventionnelle. A une condition : en l'absence de motivation, un ensemble de garanties procédurales doivent être prévues pour que le condamné comprenne la décision.