Diffamation : Un lien hypertexte ferait courir un nouveau délai de prescription de 3 mois

Un lien hypertexte dans un article permettant d’accéder directement à un article plus ancien, partiellement reproduit, est considéré, selon une décision rendue par la chambre de la presse du tribunal de Paris, comme « une nouvelle mesure de publication du même texte [qui] fait courir un nouveau délai de prescription de trois mois ».
En l’espèce, une première brève (140 mots, 1,60 €) mise en ligne, le 14 juillet 2011, dans la rubrique Maghreb confidentiel du site africaintelligence.fr, sous le titre « Abdellah Saïdi » est ainsi rédigé : « Abdellah Saïdi (Maroc) - Décédé le 12 juillet à l’hôpital Avicenne de Rabat, I‘ex-garde du corps de Mohamed VI commissaire de police Abdellah Saïdi n‘était pas chez lui lorsqu’il a reçu les coups de feu qui lui ont coûté la vie, dans la nuit du vendredi 8 juillet. Selon les informations de Maghreb Confidentiel, la fusillade a eu lieu au siège d’Amexs à Rabat, société informatique située dans la même rue que le domicile d’Abdellah Saïdi et à quelques pas du siège de la CDG. Entendant des bruits, le commissaire est entré dans les bureaux, muni de son arme de service. Il a fait feu sur un premier cambrioleur (grièvement blessé), mais le ou les complices sont parvenus à le désarmer, lui tirant trois balles dans le corps, touchant la colonne vertébrale et le foie. La famille d’Abdellah Saïdi appelle à l’ouverture d’une enquête approfondie ».
Une autre brève (106 mots, 1,60 €) mise en ligne le 8 septembre suivant, sous le titre Abdelhak Farjani, revient sur la même affaire en ces termes : « Abdelhak Farjani (Maroc) - Le mystère s‘épaissit autour de l’affaire Abdellah Saïdi, commissaire de police et garde du corps de Mohamed Vl tué le 12 juillet dans les locaux d’Amexs alors qu‘il tentait d’empêcher un cambriolage (MC n° 980). D‘après nos sources, le patron de cette société de services informatiques, Abdelhak Farjani, a été durant des années un agent de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, les services de renseignements extérieurs du royaume). Ses relations avec la “maison“ se seraient dégradées en 2005 avec l’arrivée à sa tête de Yassine M. Certains évoquent donc une “recherche de documents“ pour expliquer ce cambriolage qui a mal tourné... » et à la suite une rubrique intitulée Article complémentaire dans laquelle figurait le début de l’article mis en ligne le 14 juillet, soit : « Abdellah Saïdi (Maroc) - Décédé le 12 juillet à l’hôpital Avicenne de Rabat, l’ex-garde du corps de Mohamed VI et commissaire de police Abdellah Saïdi n‘était pas chez lui lorsqu‘il a reçu les coups de feu qui lui ont coûté la vie, dans la nuit du vendredi 8 juillet [...] ».
Relevant que « dans [l’article] publié le 8 septembre 2011 […] figurait un lien hypertexte permettant d’accéder directement à [l’]article daté du 14 juillet, article qui était de surcroît partiellement reproduit », la chambre de la presse du tribunal de Paris
Pour la chambre spécialisée du tribunal de Paris, à l’instar de la réédition d’un livre qui fait courir un nouveau délai de prescription, « la création d’un tel lien doit être analysée comme une nouvelle mise en ligne du texte auquel ce lien hypertexte renvoie » et constituerait donc « une nouvelle mesure de publication du même texte faisant courir un nouveau délai de prescription puisque le délit [serait] à nouveau commis ».
Cette décision est, à notre connaissance, une première mais on relèvera toutefois que le tribunal insiste sur le fait que l’ancien article était « de surcroît partiellement reproduit » et c’est ce qui explique, peut-être, le sens de cette décision car en aurait-il été de même s’il s’était agi d’un simple lien hypertexte sans reproduction partielle de l’ancien article ? On peut en douter mais dans le doute et tant que la cour de cassation ne se sera pas prononcée sur cette épineuse question, il conviendra de cesser d’[ab]user des liens hypertextes.
On rappellera néanmoins que le fait de citer ou de reproduire partiellement un article ancien dans la presse papier ne fait pas courir un nouveau délai de prescription quant à l’article ancien. Le parallèle, fait par le tribunal, avec la réédition d’un livre qui fait courir un nouveau délai de prescription n’est guère convaincant puisqu’il s’agit de « réédition » dans un cas et de « lien hypertexte » ou « reproduction partielle » dans l’autre.