Gendarmerie : Retenir une personne sans motif constitue un délit

Conduire et retenir pendant plusieurs heures une personne dans des locaux de gendarmerie, sans fondement légal, caractérise le délit d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique, a jugé la cour de cassation.
Il s'agit d'un officier de gendarmerie qui avait ordonné, le 25 novembre 2010, l'arrestation et la rétention pendant plusieurs d'un syndicaliste de SUD, repéré « en possession d'un drapeau » quelques heures avant la visite de Nicolas Sarkozy, alors président de la République, au Mayet-de-Montagne (Allier), sur fond de manifestations répétées contre la réforme des retraites.
Le syndicaliste avait alors déposé une plainte pour « arrestation abusive » et une instruction avait abouti, un an plus tard, à la mise en examen de sept gendarmes, deux gradés et cinq hommes qui avaient exécuté les ordres. Les cinq subordonnés avait bénéficié d'un non-lieu et les deux officiers avaient été condamnés, un seul s'est pourvu en cassation.
Les deux gendarmes avaient invité le syndicaliste, vers 9 heures 30, à les suivre à la brigade locale, où il avait fait l’objet d’une vérification d’identité, d’une fouille ainsi que, de 10 heures 45 à 12 heures 30, d’une audition sur son activité syndicale et sa prétendue participation à un collage d’affiches pour le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et il n’a finalement été autorisé à quitter les lieux que vers 13 heures 45, une fois la visite présidentielle achevée. À l’issue de l'enquête préliminaire confiée à l’inspection générale de la gendarmerie nationale, une information judiciaire avait été ouverte sur les faits, au terme de laquelle le commandant du groupement de gendarmerie de l’Allier ainsi que son adjoint, le capitaine Pouly, responsables localement de l’organisation et de la sécurité du déplacement du chef de l’État, avaient été renvoyés devant le tribunal correctionnel sous la prévention d’atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l’autorité publique. Déclarés coupables pour les faits qui leur étaient reprochés, ils ont relevé appel de la décision.
Pour écarter l’argumentation des prévenus qui soutenaient que le syndicaliste n’avait subi aucune atteinte à sa liberté d’aller et venir, la cour d'appel avait notamment retenu que les deux officiers de gendarmerie avaient donné l’ordre de mettre l’intéressé hors d’état de manifester à la vue du président de la République, sous couvert d’une vérification d’identité et d’une enquête sur un collage d’affiches. M. Pouly ayant lui-même indiqué lors d’une conversation téléphonique avec ses subordonnés, qui s’interrogeaient sur le cadre légal de la mesure, qu’il s‘agissait d’une « interpellation déguisée » et que selon les directives du préfet, le syndicaliste devait être « gardé à la brigade », tandis que le commandant de groupement a reconnu avoir demandé d’ « extraire » l’intéressé pour le conduire à la gendarmerie du Mayet-de-Montagne et de tout faire pour l’y retenir avant l’arrivée du chef de l’Etat prévue à 12 heures.
Les juges soulignent que ce n’est pas spontanément, mais sur une injonction des gendarmes invoquant « une vérification à faire » que le syndicaliste a consenti à les suivre à la brigade et qu’au cours des quatre heures qu’il y est demeuré, il s’est trouvé constamment sous surveillance, précisant que des camarades, qui s’enquerraient de sa situation, ont été éconduits sans pouvoir le rencontrer, outre le fait que le contenu de ses poches lui a été confisqué et que, lorsqu’il a manifesté son intention de quitter les lieux, il en a été dissuadé.
Pour la chambre criminelle de la cour de cassation