Internet : La mise en ligne d’un jugement peut constituer une diffamation

La mise en ligne d’un jugement peut constituer le délit de diffamation prévu et réprimé par l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse lorsqu’elle est faite « avec malveillance pour donner à la condamnation une publicité particulière et supplémentaire » en insinuant, par exemple, qu’un avocat condamné pour « violences peut être considéré comme un délinquant ».

En l’espèce, deux associés pendant de nombreuses années, au sein d'une société qui exploite différents sites internet en rapport avec le permis à points, se sont quittés en 2010 pour suivre des voies différentes. L’un, Me Sébastien Dufour, est avocat spécialisé en droit de l’automobile et l’autre, Gilles Sagne, est le gérant du site sos-defense-permis.fr (anciennement sos-points.fr).

En cause un encart sur la page d’accueil du site sos-points.fr intitulé « Sébastien Dufour, avocat condamné par la justice en juin 2010 pour "violences" sur une avocate » avec un lien permettant d’accéder au contenu d’un jugement rendu le 9 juin 2010 par le tribunal de police de Paris déclarant Me Dufour « coupable de violences volontaires ayant entraîné une incapacité inférieure à huit jours, le dispensant de peine et allouant des dommages-intérêts à la victime ».

Sauf circonstance particulière, la publication d’un jugement n’est pas susceptible de constituer une diffamation
Cour d'appel de Versailles, 17 oct. 2013, Gilles Sagne c/ Sébastien Dufour

Pour confirmer la décision de culpabilité et relever l’amende de 500 euros à 1 000 euros, la cour de VersaillesVersailles, 8e ch., 17 oct. 2013, Gilles Sagne c/ Sébastien Dufour. rappelle que la chambre criminelle de la Cour de cassation pose pour principe que « les propos incriminés ne doivent pas être pris isolément mais interprétés les uns par rapport aux autres »Crim., 21 févr. 1984, Bull. crim., n° 65, pourvoi n° 83-91.539., c’est-à-dire qu’il appartient aux juges du fond de replacer « le passage incriminé dans son contexte pour en apprécier la nature et la portée » et il est certain que la publication d’une décision de justice n’est pas susceptible de constituer en soi une diffamation mais, poursuit la cour, il en va différemment lorsque cette publication « a été faite avec malveillance pour donner à la condamnation une publicité particulière et supplémentaire ».

Au cas particulier, les premiers juges avaient souligné que la diffamation peut résulter « d’une simple insinuation de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la réputation de la personne visée » et indubitablement, relève la cour, une condamnation pénale comporte par sa nature même « une dimension infamante, a fortiori lorsqu’elle s’applique à un auxiliaire de justice censé respecter la loi de plus fort ». En prononçant une dispense, pour la cour, le tribunal a entendu signifier « le peu de gravité des faits et du trouble causé à l’ordre public » dont la subtilité n’est pas « nécessairement connue du grand public ».

Or, estime la cour, la publicité faite à la condamnation pénale de Me Dufour sur internet, « accompagnée d’une reproduction du panneau routier signifiant "attention danger" constitue une allégation d’autant plus manifestement malveillante qu’elle est destinée à des internautes susceptibles de recourir aux services de cet avocat », ajoutant que s’agissant d’une décision de dispense de peine, concernant des faits étrangers au contentieux routier, sa publication ne comporte pas « en soi d’intérêt […] si ce n’est de nuire à la réputation de Me Dufour ». Dans un contexte concurrentiel, sur fond de séparation entre deux anciens associés, la publication de cette condamnation pénale a été faite, juge la cour, « avec malveillance pour donner à la condamnation une publicité particulière et supplémentaire car elle insinue que Me Dufour, condamné pour violences, peut être considéré comme un délinquant ».

Soutenant n’avoir, « malgré la déception humaine » et « malgré les coups et trahisons », aucune animosité envers Me Dufour, M. Sagne a expliqué n’être animé que par « la seule volonté d’informer le public », après avoir mené « une enquête sérieuse » puisqu’il a publié un jugement définitif, qu’il « n’a pas commenté afin d’agir avec neutralité, prudence et mesure ». Mais cela n’a guère convaincu la cour qui écarte la bonne foi au motif que ces affirmations sont contredites par la façon dont a été présentée sur le site internet la condamnation du tribunal de police, illustrée du panneau « danger » et qu’elle n’est pas davantage convaincue que la condamnation d’un avocat pour violences légères présenterait un intérêt pour un public intéressé par le contentieux routier. Pour la cour, non seulement il n’y a pas de « bonne foi » mais il y a « intention malveillante » caractérisée qui fait que le délit est constitué.

Publié de manière anonymisé mercredi dernier par notre confrère legalis.net, cet arrêt a ensuite nourri quelques échanges au sein du groupe « avocats de France » de linkedin.com mais c'est hier après-midi que Me Dufour a décidé de le commenter lui-même sur son site et de mettre un lien vers la décision anonymisée publiée par legalis.net.

Me Dufour rappelle qu’il est « à l’origine de nombreuses procédures contre "les braconniers du droit" qui sévissent sur internet et que son combat dérange un bon nombre de personnes, dont Monsieur Sagne ». Les automobilistes qui sont des proies faciles pour ces sites méritent, ajoute-t-il, « d’être informés sur l’illégalité de ces activités de courtage d’avocats ». Sollicités par LexTimes.fr, M. Sagne n’a pas réagi et Me Dufour n’était pas disponible immédiatement.