Justice en ligne : Relaxe confirmée pour le responsable de Demanderjustice.com

Capture d'écran du site Demanderjustice.com

La cour d’appel de Paris a confirmé le jugement qui avait relaxé le responsable de la société Demander Justice du délit d’exercice illégal de la profession d’avocat dont « la preuve de [sa] commission [… n’était] pas suffisamment rapportée » par le Conseil national des barreaux (CNB) et le barreau de Paris.

Poursuivi pour exercice illégal de la profession d’avocat, à la suite de deux signalements déposés les 9 août 2012 et 18 février 2013 par le bâtonnier de Paris, Jérémy Oinino, 31 ans, avait en effet créé une société dénommée Demander Justice au mois de mai 2012 dont l’activité est « la création de logiciels permettant la dématérialisation des dossiers concernant les petits litiges » et avait ainsi créé deux sites demanderjustice.com et saisirprudhommes.com, qui permettent effectivement de réaliser en ligne les formalités de saisine de juridictions pour lesquelles le ministère d’avocat n’est pas obligatoire mais à l’origine, le site indiquait parmi ses prestations qu’il assurait aussi « une assistance juridique 7 j/7 » et « l’audience devant le juge de proximité », ce qui, en réalité, n’aurait jamais été le cas.

Moyennant 89,90 euros (tribunal d’instance) ou 149,90 euros (conseil de prud’hommes), après que l’internaute ait lui-même saisi ses coordonnées et celles de son adversaire, le logiciel permet de mettre en forme une mise en demeure et une déclaration au greffe motivée et chiffrée qui seront automatiquement transmis à un centre de traitement postal pour impression, mise sous pli et envoi à l’adversaire et, le cas échéant, 15 jours plus tard, au greffe de la juridiction.

Pour l’ordre des avocats de Paris, contrairement à ce qui était soutenu par le prévenu, c’est la société Demander Justice qui édite et lance la procédure en définitive, c’est elle qui saisit la juridiction, c’est elle qui « signe la déclaration au greffe de la juridiction car elle n’est pas signée par le client mais nécessairement par la société via un logiciel qui imite le graphisme humain » dans la mesure où la signature électronique pour la saisine des juridictions est « réservée aux seuls auxiliaires de justice et qu’un particulier ne peut pas saisir une juridiction par une signature électronique ».

Quant au CNB, il a développé les mêmes arguments et faisait état également que les sites litigieux « donnent à penser aux justiciables qu’ils ont à faire à un "quasi avocat" » et que le fait qu’ils déterminent « le tribunal compétent [au moyen d’un logiciel sous libre licence fourni par le ministère de la justice, ndlr] constitue une mission d’assistance ».

Relevant qu’il n’était pas démontré que la société Demander Justice ait plaidé ou postulé pour l’un de ses clients ni assisté ou représenté l’un d’eux à une audience, la courParis, ch. 5-12, 21 mars 2016, n° 14/04307, ministère public, Conseil national des barreaux (CNB) et Ordre des avocats de Paris c/ Jérémy Oinino. juge que son rôle est « purement matériel, permettant la transmission informatique des documents numériques à un centre de traitement postal puis, après impression et mise sous pli, leur envoi physique au greffe de la juridiction » pour confirmer la relaxe du prévenu.

La seule mise à disposition, souligne par ailleurs la cour, de modèles type de lettres de mise en demeure, d’un logiciel libre, édité par le ministère de la justice, permettant de déterminer par défaut la juridiction territorialement compétente correspondant au domicile du défendeur, et de modèles cerfa de déclarations de saisine de juridictions, ne saurait constituer « l’assistance juridique que peut prêter un avocat à son client, à défaut de la prestation intellectuelle syllogistique consistant à analyser la situation de fait qui lui est personnelle pour y appliquer ensuite la règle de droit abstraite correspondante ».

Une grande victoire pour l'innovation face à la puissance des lobbies
Jérémy Oinino, fondateur de Demander Justice, 21 mars 2016.

Au surplus, ajoute la cour malicieusement, si la société Demander Justice — qui revendique avoir traité plus de 230 000 dossiers — fournissait de manière habituelle des consultations téléphoniques, il en résulterait « nécessairement de nombreuses plaintes pour exercice illégal de la profession d’avocat par les personnes concernées en cas d’échec de la procédure qui leur aurait été ainsi conseillée », il n'en ait rien et c’est ainsi que la cour en conclut que « la preuve de la commission par [le prévenu] du délit d’exercice illégal de la profession d’avocat n’est pas suffisamment rapportée ».

M. Oinino se réjouit de cette « grande victoire pour l’innovation face à la puissance des lobbies » et estime que « la parfaite légalité de [son] modèle ne [fait] plus de doute » mais pour le CNB, le débat est loin d’être terminé.

L’instance représentative des quelque 65 000 avocats de France critique abondamment la cour qui a fait « une mauvaise application » des dispositions relatives à la communication et à la signature électroniques, et a réduit la portée de la notion de « représentation et assistance » en justice qui va bien au-delà de ce que veut bien admettre la cour.

Le CNB indique par ailleurs que la juridiction civile est saisie de demandes distinctes et plus larges à l’encontre de la société Demander Justice (exercice illégal d’une activité de consultation juridique et de rédaction d’actes, démarchage juridique, pratiques commerciales trompeuses,...) qui devraient être tranchées en première instance au cours des prochaines semaines et dit se réserver, quant à l'arrêt critiqué, la possibilité d’introduire un pourvoi en cassation. Il ne s’avoue pas vaincu, « la partie est loin d’être gagnée pour la société Demander Justice », insiste le président de la commission Exercice du droit du CNB Didier Adjedj qui représentait le CNB devant la cour à cette occasion.