Lagarde : Coupable de négligences mais dispensée de peine

Cour de justice de la République.

La Cour de justice de la République (CJR) a reconnu lundi l’ancienne ministre de l’économie et actuelle directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, coupable de « négligences » pour ne pas avoir formé de recours à l’encontre de l’arbitrage ayant octroyé plus de 400 millions d’euros aux époux Tapie dans le contentieux les opposant au Crédit lyonnais mais l’a dispensée de peine.

L’affaire remonte à la fin de l’année 1992 lorsque l’éphémère ministre de la ville du gouvernement Bérégovoy avait décidé de cesser ses activités industrielles et commerciales pour se concentrer sur le mieux-vivre des plus défavorisés. M. Tapie avait alors donné mandat à une filiale du Crédit lyonnais, la Sdbo (Société de banque occidentale), de vendre à un prix minimum imposé sa holding de droit allemand détenant sa participation dans la société Adidas. Courant 1993, la participation fut cédée à plusieurs sociétés parmi lesquelles une filiale du Crédit lyonnais, Clinvest (devenue CDR Consortium de réalisation). Après la mise en liquidation judiciaire des époux Tapie et de ses sociétés, ce sont les liquidateurs qui ont engagé une action en responsabilité contre le Crédit lyonnais et la Sdbo (devenue CDR créances) pour manquement à leurs obligations de mandataires.

Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 septembre 2005, partiellement cassé par un arrêt de la cour de cassation du 9 octobre 2006, avait déclaré CDR créances et le Crédit lyonnais responsables du préjudice subi. Deux autres affaires étaient pendantes, l’une contre CDR créances pour soutien et rupture abusifs de crédit et l’autre par CDR contre la société Alain Colas Tahiti (ACT) en restitution du prêt octroyé pour la rénovation du navire Phocéa. Un compromis fut élaboré le 16 novembre 2007 entre tous les protagonistes pour confier tous les contentieux à l’arbitrage de trois personnalités de premier plan : Pierre Mazeaud, Jean-Denis Bredin et Pierre Estoup, avec l’obligation de respecter l’autorité de la chose jugée des décisions de justice définitives précédemment rendues.

Une sentence arbitraleSentence arbitrale entre CDR Créances, Consortium de réalisation et Selafa MJA, Me Didier Courtoux, Bernard et Dominique Tapie, 7 juill. 2008. a ainsi retenu que les deux sociétés CDR avaient violé les obligations de loyauté et de l’interdiction de se porter contrepartie et avaient été condamnées à payer 240 millions d’euros, outre les intérêts, 45 millions d’euros aux époux Tapie pour leur préjudice moral et 8,45 millions d’euros au titre des frais. Des révélations sur les liens des uns et des autres ont ensuite amené les deux CDR à saisir la cour d’appel de Paris d’un recours en révision qui a aboutiParis, ch. 1-1, 17 févr. 2015, sociétés CDR et CDR créances c/ Bernard Tapie et a. à l’annulation de l’arbitrage après avoir retenu l’existence d’une fraude et une information judiciaire pour « escroquerie en bande organisée » à l’encontre de six personnes dont l’ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde et actuel patron d’Orange, Stéphane Richard, Bernard Tapie, son avocat Maurice Lantourne et un des juges arbitres, l’ancien magistrat Pierre Estoup, est actuellement pendante.

Devant la CJR, à l’ancienne ministre de l’économie (2007-2011), il était reproché deux « négligences », d’une part, d’avoir accepté d’entrer en arbitrage et, d’autre part, de ne pas avoir exercé de recours à l’encontre de la sentence arbitrale excessive. Elle est relaxée pour la première et reconnue coupable pour la seconde au motif qu’elle ne s’est pas « entourée de suffisamment d’avis contradictoires avant de donner instruction de renoncer au recours » dans la mesure où les chances de succès n’étaient pas « négligeables », estime la Cour qui la dispense de peine et cette condamnation ne sera pas inscrite à son casier judiciaire. Cette décision critiquable est, juridiquement, assez incompréhensible.

Le non-exercice d’une voie de recours constitue une négligence fautive
Cour de justice de la République, Christine Lagarde, 19 déc. 2016.

Pour qu’il y ait délit, il est enseigné aux étudiants de première année de droit qu’il est nécessaire, en principe, d’avoir la réunion de trois éléments : un élément légal (la loi), un élément matériel (l’infraction) et un élément moral (la volonté de commettre l’infraction) avec toutefois, parfois, des tempéraments quant au second et/ou troisième élément qui fait défaut en cas de tentative ou de complicité punissable ou d’infraction involontaire.

En l’espèce, Mme Lagarde n’était pas poursuivie pour avoir participé à un quelconque degré à « l’escroquerie en bande organisée » reprochée à présent à six personnes dans ce dossier devant la juridiction de droit commun mais de s’être, en fait, laissée aller à accepter l’organisation par le président de la RépubliqueLe Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, art. 67 de la Constitution de 1958. de l’époque, Nicolas Sarkozy, et son entourage immédiat d’un arbitrage mettant fin à un contentieux vieux de 15 ans et la décision arbitrale excessive rendue, Mme Lagarde a négligé de retourner devant la juridiction de droit commun pour la contester (sic !).

Le seul article du code pénal visant la négligence est l’article 121-3 qui, après avoir rappelé, en son premier alinéa, le principe qu’il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre, vise « la mise en danger délibérée de la personne d’autrui » (al. 2) et, plus généralement, « la faute d’imprudence, de négligence ou le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli « les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait » (al. 3).

L’alinéa 4 précise que les personnes qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter — ce qui est, peut-on considérer, le cas, en l’espèce — sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».

Le législateur a entendu viser, en somme, une personne particulièrement négligente qui a omis d’accomplir les diligences normales lui incombant mais qui ne peut être poursuivie pénalement que si elle a manifestement et délibérément violé une obligation légale pesant sur elle ou commis une faute gravissime. Il s’agit donc d’une infraction involontaire commise volontairement et de manière délibérée.

Mais en l’occurrence faut-il qualifier le laisser-faire de l’ancienne ministre de l’économie de faute politique ou de négligence fautive ? Faute politique vraisemblablement en ce que, mue par ses seules aspirations personnelles de grandeur, Mme Lagarde s’est abstenue de démissionner lorsqu’elle a vu, noir sur blanc, le montant excessif accordé aux époux Tapie par rapport à ce que ces derniers auraient peut-être pu obtenir, après encore quelques années d’attente et de procédures, devant les juridictions de droit commun. Et cette faute politique peut-elle être qualifiée de négligence pénale fautive dans la mesure où la décision de recourir à l’arbitrage et de ne pas former un recours a été prise, non par elle mais au plus haut niveau de l’État ?

Quoi qu’il en soit, Christine Lagarde aurait dû se révolter, elle aurait dû dire non à Nicolas Sarkozy et à ses sbires, semble avoir jugé la Cour de justice de la République qui, néanmoins, brave fille, fait quand même un geste en la dispensant de peine et d’une non-inscription à son casier judiciaire, ce qui rend la décision encore plus incompréhensible et encore plus illisible.

Une négligence fautive de 400 millions d'euros non sanctionnée

L’article 132-58 du code pénal prévoit qu’en matière correctionnelle, la juridiction peut, après avoir déclaré le prévenu coupable, dispenser le prévenu de toute peine. La dispense de peine peut être accordée — ce qui implique qu’elle doit avoir été demandée — lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé.

Or, en substance, le parquet concluait à la relaxe et l’avocat de la prévenue, Patrick Maisonneuve, n’en demandait pas moins. La Cour n’était donc saisie d’aucune demande de dispense de peine et, en toute hypothèse, il ne lui avait été fourni aucun justificatif quant au reclassement du coupable, la réparation du dommage et la cessation du trouble.

C’est donc proprio motu que la CJR a accordé cette dispense de peine non sollicitée en la justifiant par le fait que les conséquences de l’absence de recours ont été « corrigées » par l’annulation de l’arbitrage par l’arrêt du 17 février 2015 de la cour d’appel de Paris et en considération du « contexte de crise financière mondiale » à ce moment-là ainsi qu’à la « réputation » nationale et internationale de la prévenue.

Déclaration de Christine Lagarde, 19 déc. 2016.

Une décision politique pour une infraction faussement pénale. Mme Lagarde qualifie cette décision la déclarant coupable et la dispensant de peine de « curieuse ».