Liberté d'expression : Un excrément représentant Le Pen ne dépasse pas les limites admissibles

Laurent Ruquier et Marine Le Pen. Photomontage.
Laurent Ruquier et Marine Le Pen. Photomontage.

L'Assemblée plénière de la cour de cassation a rejeté le pourvoi de la candidate à l'élection présidentielle de 2012 Marine Le Pen à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait confirmé la relaxe de Laurent Ruquier poursuivi pour « injure publique envers un particulier » à la suite de la diffusion, le 7 janvier 2012, dans l’émission de France « On n’est pas couché », d'une séquence au cours de laquelle, à l’issue de l’interview de l’un des candidats à l’élection présidentielle, ont été montrées des affiches, publiées trois jours auparavant par l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo.

L’une de ces affiches représentait un excrément fumant surmonté de la mention « Le Pen, la candidate qui vous ressemble » et cette dernière a déposé plainte avec constitution de partie civile en soutenant que cette comparaison constituait, à son égard, l’infraction d’injure publique envers un particulier.

Déboutée de sa plainte par une première décision des juges du fondParis, ch. 2-7, 2 avril 2015, Marine Le Pen c/ Rémy Pflimlin et Laurent Ruquier. qui, après avoir relevé que l’affiche litigieuse avait été diffusée au cours d’une séquence destinée à présenter « les dessins satiriques et parodiques qui avaient été publiées quelques jours auparavant dans le journal Charlie Hebdo, représentant les candidats à l’élection présidentielle », avaient notamment estimé que, même si elle est « particulièrement grossière », il ne peut pour autant être considéré qu’il s’agit « d’une attaque purement personnelle destinée à porter atteinte à sa dignité, en tant que femme, alors que le téléspectateur comprend nécessairement qu’elle est visée en tant que candidate à l’élection présidentielle », Mme Le Pen avait obtenu gain de cause devant la chambre criminelle de la cour de cassationCrim. 20 sept. 2016, n° 15-82942, Marine Le Pen c/ Rémy Pflimlin et Laurent Ruquier. qui avait retenu que, même en la visant en sa qualité de personnalité politique d’une séquence satirique, le dessin et la phrase litigieux dépassent « les limites admissibles de la liberté d’expression ».

Sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Paris autrement composéeParis, 20 sept. 2017, Marine Le Pen c/ France Télévisions et Laurent Ruquier. résiste et l'assemblée plénière approuveAss. pl., 25 oct. 2019, n° 17-86.605, Marine Le Pen c/ France Télévisions et Laurent Ruquier, rapport du conseiller L. Jacques, avis premier avocat général Frédéric Desportes..

Dans ce second arrêt, la cour suprême rappelle que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et elle ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard de l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La restriction qu’apportent à la liberté d’expression les articles 29, al. 2, et 33 de la loi du 29 juillet 1881, qui prévoient et répriment l’injure, peut donc être justifiée si elle poursuit l’un des buts énumérés à l’article 10 § 2, de cette Convention, parmi lesquels figure la protection de la réputation ou des droits d’autrui.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la réputation d’une personne, même lorsque celle-ci est critiquée au cours d’un débat public, fait partie de son identité personnelle et de son intégrité morale et, dès lors, relève de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentalesCEDH, 15 nov. 2007, n° 12556/03, Pfeifer c/ Autriche, § 35. et le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher, en cas de conflit, un juste équilibre entre ces deux droits.