Migrants : Annulation des condamnations pénales de Cédric Herrou

Cédric Herrou, sept. 2017.
Cédric Herrou, sept. 2017.

Dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel de juillet dernier ayant conféré à la fraternité une valeur constitutionnelle et la nouvelle rédaction de l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), la chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé l’arrêt des juges aixois qui avaient déclaré Cédric Herrou coupable d’infractions d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’étrangers en France mais les condamnations au profit de la SNCF à l’encontre desquelles il n’avait pas interjeté appel sont définitives.

En l’espèce, le 18 octobre 2016, des gendarmes avaient constaté la présence de cinquante-sept étrangers, dont des mineurs, en situation irrégulière, majoritairement originaires d’Erythrée et du Soudan, assistés de plusieurs représentants d’associations, dans un bâtiment dépendant d’un complexe immobilier appartenant à la SNCF, situé à Saint-Dalmas-de-Tende (Alpes-Maritimes), exploité jusqu’en 1991 comme colonie de vacances et inoccupé depuis de nombreuses années. Les intéressés avaient pénétré par une fenêtre du rez-de-chaussée et avaient aménagé le bâtiment en dortoir avec l’aide d’un agriculteur, Cédric Herrou, qui reconnaissait être à l’origine de cette occupation pour avoir déclaré à la presse « avoir voulu établir un lieu d’accueil humanitaire destiné aux migrants ».

Deux jours plus tard, le 20 octobre 2016, alors qu’ils se rendaient à la gare de Saint-Dalmas-de-Tende, des agents de la police aux frontières se sont trouvés en présence, devant le domicile de M. Herrou, de quatre personnes en situation irrégulière qu’ils ont interpellées et ont constaté sur le site de la SNCF, toujours occupé, la présence d’un groupe de personnes, assistées de représentants d’associations, qui préparaient l’évacuation des lieux.

Placé en garde à vue, Cédric Herrou, qui s’est présenté comme le porte-parole des migrants et des militants associatifs, a déclaré avoir organisé « une action humanitaire pour répondre à l’afflux de migrants dans la vallée de la Roya et venir au secours des personnes les plus fragiles » et a reconnu s’être rendu régulièrement à Vintimille, en Italie, pour prendre en charge des migrants et avoir convoyé d’Italie en France environ deux cents personnes, les avoir conduites à son domicile pour leur procurer un hébergement décent, et avoir occupé le bâtiment de la SNCF parce qu’il manquait de place chez lui, affirmant avoir agi « dans un but exclusivement humanitaire, sans contrepartie ».

Poursuivi pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers, courant octobre 2016, d’environ deux cents étrangers dépourvus de titre de séjour et installation en réunion sur le terrain d’autrui sans autorisation, l’agriculteur a été déclaré coupableTGI Nice, ch. corr., 10 févr. 2017, ministère public et a. c/ Cédric Herrou. d’infractions au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) mais renvoyé des fins de la poursuite pour le délit d’installation en réunion sur le terrain d’autrui sans autorisation.

Sur l’appel interjeté par le ministère public, le prévenu et la SNCF, partie civile déboutée de ses demandes, la cour d’AixAix-en-Provence, ch. corr., 11 sept. 2017, ministère public et a. c/ Cédric Herrou. confirme la culpabilité de l’agriculteur au motif que « la matérialité des faits n’est pas contestée […] le prévenu savait que les migrants pris en charge étaient démunis de titre de séjour […] même si son action était dépourvue de contrepartie directe ou indirecte, il ne pouvait revendiquer le bénéfice des immunités prévues par le 3° de l’article L.622-4 du CESEDA, dans sa rédaction alors en vigueur » dès lors que son action s’inscrivait dans « une démarche d’action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration ».

À l’occasion d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité), le Conseil constitutionnelCons. constit., 6 juill. 2018, n° 2018-717 QPC et 2018-718 QPC, Cedric H. et a. a entre-temps jugé que « la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle » applicable « dans un but humanitaire, sans considération de la régularité [du] séjour sur le territoire national » et qu’il appartenait au législateur d’assurer la conciliation de ce principe de fraternité avec la sauvegarde de l’ordre public. Tirant les conséquences de cette décision, le législateur a élargi le champ d’application de l’article L. 622-4 du CESDA, par l’article 38 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, en faisant obstacle aux poursuites pénales dans l’hypothèse où l’aide à la circulation et au séjour irrégulier d’un étranger « n’a donné lieu, de la part d’une personne physique ou morale, à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir une aide quelconque dans un but exclusivement humanitaire ». Cette disposition s’applique de manière rétroactive, en vertu de l’article 112-1 du code pénal, dès lors qu’elle élargit les immunités prévues par l’article L. 622-4 du CESEDA.

C’est ainsi que la chambre criminelle de la cour suprêmeCrim., 12 déc. 2018, n° 17-85736, Cédric Herrou. annule l’arrêt en ce qu’il a reconnu le prévenu coupable d’infractions au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La déclaration de culpabilité du chef d’installation sur le terrain d’autrui sans autorisation et les dispositions civiles de l’arrêt, non contestées par M. Herrou ayant, par ailleurs, acquis un caractère définitif. L’affaire sera rejugée par la cour d’appel de Lyon.