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PFRLR : Le droit pénal spécial et protecteur des mineurs

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Conseil constitutionnel. Conseil constitutionnel.

À l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Murielle Bolle, un personnage-clé de l’affaire Grégory, qui avait dénoncé, lors de sa garde à vue en 1984 alors qu’elle n’était âgée que de 15 ans, son beau-frère Bernard Laroche d'avoir enlevé l'enfant en sa présence, le Conseil constitutionnel réaffirme le principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) concernant la justice des mineurs qu’est notamment « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge ».

Trente-quatre ans après la découverte du petit Grégory retrouvé mort, mains et pieds attachés, dans une rivière des Vosges, les procès-verbaux d’audition en garde en vue qui remontent à 1984 de Murielle Bolle, âgée alors de 15 ans et aujourd’hui de 49 ans, et, en principe, tous les actes subséquents pourraient tous être annulés d’autant plus facilement par la Cour de cassation que la jeune fille mineure s’était par la suite rétractée en dénonçant les « pressions des gendarmes ».

Il était soutenu que les dispositions des 1er, 5, 7, 8, 9 et 10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante méconnaissaient la présomption d'innocence et les droits de la défense garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs dans la mesure où elles permettent, dans le cadre d'une instruction, le placement d'un mineur en garde à vue sans qu’il bénéficie des garanties nécessaires au respect de ses droits, tels que l'assistance d'un avocat, la notification du droit de garder le silence et l'information de son représentant légal.

La chambre criminelle de la Cour de cassation1 , saisie à l’occasion d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour de Dijon, avait retenu le caractère sérieux de la question au motif que le législateur n’a pas — à l’occasion des modifications apportées, postérieurement à la Constitution du 4 octobre 1958 et antérieurement à 1984, à l’ordonnance du 2 février 1945 — prévu, avant la loi n° 93-1013 du 24 août 1993, de garanties spécifiques pour un mineur privé de liberté par une mesure de garde à vue et incitait le Conseil constitutionnel à de vérifier s’il avait été porté atteinte, par cette abstention, au principe fondamental reconnu par les lois de la République du « droit pénal spécial et protecteur des mineurs ».

« L'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues, rappelle le Conseil2 , par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ». Et notamment dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et, enfin, l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante.

Même si la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 « ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives » et si les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 « n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention », il existe bien un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

En l’espèce, relève le Conseil, selon les dispositions contestées de l'article 8 de l'ordonnance du 2 février 1945, lorsque le juge des enfants est saisi par le procureur de la République aux fins d'instruire des faits délictuels commis par un mineur, il procède à une enquête dans les formes prévues par le chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale et selon l'article 9 de la même ordonnance, le juge d'instruction procède dans les mêmes formes lorsqu'il est saisi de faits criminels ou délictuels commis par un mineur. L'article 154 du code de procédure pénale alors applicable permettait, quant à lui, à un officier de police judiciaire, dans le cadre d'une procédure d'instruction, de retenir une personne à sa disposition vingt-quatre heures, délai à l'issue duquel la personne doit être conduite devant le magistrat instructeur, avec possible prolongation, sur décision de ce magistrat, pour une durée de vingt-quatre heures. Et en application de l'article 64, le seul droit de la personne gardée à vue consistait à pouvoir bénéficier du droit d'obtenir un examen médical en cas de prolongation de la mesure.

L'état du droit alors en vigueur en 1984 ne prévoyait donc, constate le Conseil, aucune autre garantie légale afin d'assurer le respect des droits, notamment ceux de la défense, de la personne gardée à vue, majeure ou non et aucune disposition législative ne prévoyait un âge en dessous duquel un mineur ne pouvait être placé en garde à vue.

Les dispositions contestées qui permettaient que tout mineur pût être placé en garde à vue pour une durée de vingt-quatre heures renouvelable avec comme seul droit celui d'obtenir un examen médical en cas de prolongation de la mesure n’assuraient pas, juge le Conseil, une « conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d'infractions et l'exercice des libertés constitutionnellement garanties » et ont méconnu les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

Elles sont déclarées contraires à la Constitution et aucun motif ne justifiant de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité, elle intervient à compter de la date de la publication de la décision et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

 

  • 1Crim., 11 sept. 2018, n° 18-83360, Murielle Bolle.
  • 2Cons. constit., 16 nov. 2018, n° 2018-744 QPC, Murielle Bolle.

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