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Terrorisme : De l'état d'urgence provisoire à l'état d'urgence permanent

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Signature de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, 30 oct. 2017. Signature de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, 30 oct. 2017.

La menace étant toujours présente et palpable, il a été mis fin hier soir à minuit à l’état d’urgence provisoire instauré à la suite des attentats du 13 novembre 2015 et depuis ce matin zéro heure, on a basculé dans l’état d’urgence permanent après la promulgation lundi par le président de la République Emmanuel Macron de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Hier, mardi, Emmanuel Macron a fait un déplacement à Strasbourg pour gratifier les institutions européennes, Conseil de l’Europe et Cour européenne des droits de l’homme, d’un commentaire et leur expliquer le bien-fondé de la loi renforçant la sécurité intérieure1 .

« La lutte contre le terrorisme doit être conduite dans le respect constant des libertés fondamentales garanties par la Convention européenne des droits de l’homme », a déclaré le président de la République qui assure que c’est « dans cet esprit [qu’il a] décidé de mettre fin […] au régime de l’état d’urgence qui avait été instauré après les attentats de novembre 2015 et qui [ont] conduits à invoquer l’article 15 de la Convention ».

L’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme reconnaît aux gouvernements des États parties, dans des circonstances exceptionnelles, la faculté de déroger, de manière temporaire, limitée et contrôlée, à certains droits et libertés garantis par la Convention. L’utilisation de cette disposition est régie par des conditions de fond et de forme. Le droit de dérogation ne peut être invoqué qu’en cas de guerre ou d’autre danger menaçant la vie de la nation, un État ne peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la Convention que dans la stricte mesure où la situation l’exige, les dérogations ne peuvent pas être en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international et certains droits garantis par la Convention n’autorisent aucune dérogation. L’article 15 §2 de la Convention interdit ainsi toute dérogation au droit à la vie, sauf pour les cas d’actes licites de guerre, à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, à l’interdiction de l’esclavage et de la servitude et à la règle « pas de peine sans loi ». De même est interdite toute dérogation à l’article 1er du Protocole n° 6 à la Convention qui porte abolition de la peine de mort en temps de paix, à l’article 1er du Protocole n° 13 à la Convention relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, ainsi qu’à l’article 4 (droit à ne pas être jugé ou puni deux fois) du Protocole n° 7 à la Convention.

« La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme n’a aucunement pour objet, a plaidé Emmanuel Macron, de pérenniser l’état d’urgence, comme certains l’ont dit mais elle prévoit des mesures nécessaires à la protection de nos compatriotes, strictement définies, encadrées et soumises à un contrôle renforcé des juges qui nous permet d’être tout à la fois efficace dans la lutte contre le terrorisme et de pouvoir mettre fin à la procédure de dérogation, que nous avions ouverte il y a maintenant deux ans ».

Les dispositions entrées en vigueur aujourd’hui à zéro heure n’ont pas été soumises au filtre du Conseil constitutionnel et, pour l’essentiel, il s’agit peu ou prou des pouvoirs et prérogatives dont l’administration bénéficiait jusqu’à hier soir minuit sous le régime de l’état d’urgence et qui peuvent être mises en œuvre sans ou avec un contrôle très restreint du juge judiciaire qui est, pourtant, le garant des libertés individuelles au terme de l’article 66 de la Constitution.

Sans contrôle du juge judiciaire, pour assurer « la sécurité » ou « prévenir un acte de terrorisme », le préfet ou le ministre de l’intérieur peut instituer un périmètre de protection au sein duquel l’accès et la circulation sont réglementés (art. premier de la loi), prononcer la fermeture d’un lieu de culte (art. 2) et prendre diverses mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (art. 3), outre des interceptions téléphoniques et des mesures de surveillance (art. 15) et de contrôles aux frontières (art. 19).

Les visites et saisies restent subordonnées à une autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) et ne peuvent viser les locaux professionnels ou privés des parlementaires, des avocats, des magistrats ou des journalistes (art. 4). Ce qui inquiète surtout, ce sont les éventuelles possibles dérives contre des syndicalistes ou des opposants et, par dessus tout, son utilisation par un pouvoir moins démocratique et plus totalitaire.

 

  • 1Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, J.O., n° 255, 31 oct. 2017, n° 1.

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