Terrorisme : La CNCDH critique la prolongation de l'état d'urgence

La loi prorogeant l'état d'urgence pour une durée de six mois a été promulguée hier et la Commission nationale consultative des droits de l'homme se montre très critique quant à cette prolongation qui constitue « une restriction flagrante aux droits et libertés fondamentaux ».
Cette prorogation de l'état d'urgence
Dérogation en cas d’état d’urgence
1. En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
2. La disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7. 3. Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (Cncdh), investie d’une mission de suivi de l’état d’urgence, appelle à dresser le bilan des mesures prises et à refuser toute prolongation qui constitue, affirme-t-elle dans un communiqué, « une restriction flagrante aux droits et libertés fondamentaux ».
« Toute prolongation de l’état d’urgence doit impérativement répondre aux principes de nécessité, de proportionnalité et de non-discrimination. Tel n’est pas le cas, selon la présidente de la Cncdh Christine Lazerges qui appelle à sortir de cet état d’exception, même si cela est à l’évidence une décision politique particulièrement difficile à prendre dans un contexte où la démagogie semble l’emporter sur la raison. L’état d’urgence ne saurait devenir permanent. La nouvelle prorogation de l’état d’urgence pour six mois remet en cause le caractère exceptionnel de ce régime et interroge sur ses finalités ».
L’état d’urgence ne contribue qu’à la marge à la lutte contre le terrorisme
Dès son avis du 18 février sur le suivi de l’état d’urgence, la Cncdh soulignait déjà l’efficacité limitée de l’état d’urgence dans cette lutte, constat largement partagé par la Commission d’enquête parlementaire sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre le terrorisme dans son rapport du 5 juillet dernier. La Cncdh s’interroge donc sur l’utilité de multiplier une nouvelle fois les mesures pouvant être ordonnées dans le cadre de l’état d’urgence, comme le prévoit la nouvelle loi (fermeture des lieux de culte, interdiction des manifestations, saisie des données informatiques, retenue de quatre heures, contrôles d’identité, fouille et inspection visuelle de bagages).
L’impératif de sécurité ne peut justifier de pérenniser un état d’exception qui réduit les droits fondamentaux
Le 3 juin dernier, la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a déjà inscrit dans le droit commun des mesures similaires (perquisitions de nuit, perquisitions informatiques, retenue de quatre heures et contrôle administratif des retours sur le territoire national), étant précisé que cette loi a suivi de peu celle du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs. La Cncdh dénonce cette succession de textes qui — en banalisant des restrictions aux droits et libertés — contribuent à « normaliser l’exceptionnel », à « stigmatiser une partie de la population » et à « renforcer les risques de discrimination ».
L’évaluation de l’efficacité des dispositifs en vigueur avant chaque réforme fait, souligne-t-elle, défaut. Et le Parlement n'est pas en reste pour la Cncdh qui constate que, sous le coup de l’émotion et en l’espace de deux jours seulement, réforme tous azimuts plusieurs codes ainsi que la loi pénitentiaire de 2009 au nom du renforcement de la lutte antiterroriste.
Dans ces temps troublés, la Cncdh se dit convaincue que la promotion et la protection des droits de l’homme, l’apprentissage de la citoyenneté, et l’éducation aux valeurs de la République sont les meilleurs garants de la sécurité individuelle comme collective. Il importe, selon elle, de préserver les équilibres démocratiques, de rechercher la cohésion nationale, et non de les sacrifier.
« Face à l’émotion suscitée par les événements du 15 juillet à Nice, les représentants de la Nation ont le devoir d’agir avec sagesse et discernement. Les postures politiciennes et la surenchère sécuritaire ne manqueront pas d’engendrer des effets dévastateurs sur le vivre ensemble en contribuant à créer un climat de suspicion généralisée susceptible de faire le lit de tous les extrémismes.» rappelle Christine Lazerges.
Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, constate, quante à lui, avec « consternation que ce texte confirme complètement les craintes qu'il a exprimées depuis la mise en œuvre de ce régime d'exception, à la fin de 2015 ». « Rompant l'équilibre entre les exigences de la sécurité et les garanties des libertés, le droit français vient ainsi, selon M. Toublon, d'affaiblir durablement l'État de droit qui a fait la force de notre République ».