Loi Justice : La fusion des tribunaux de première instance actée par le Conseil constitutionnel

Dans une décision fleuve de 93 pages et 395 paragraphes, la plus longue jamais rendue à ce jour, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, à l’exception de quelques dispositions, principalement pénales. La version définitive de la loi comportait 109 articles, contre 56 dans sa version initiale, et les auteurs de quatre recours en contestaient, outre la procédure d’adoption, 57. La fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance est validée.
Tout le volet civil est aussi quasi intégralement validé. Il en va ainsi de l’article 3 qui vise à développer les modes de règlement alternatifs des différends (MARD) en subordonnant la recevabilité de certaines demandes à une tentative de règlement amiable préalable sauf à l’écarter par la justification d’un « motif légitime » qui peut, par exemple, être « l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ». La volonté du législateur de « réduire le nombre des litiges soumis au juge » va dans le sens, selon les Sages
De même, la plupart des dispositions de l’article 33 relatives aux règles de publicité des décisions de justice (administrative et judiciaire) sont validées. Le Conseil jugeant qu’en prévoyant que les données d’identité des magistrats et des membres du greffe figurant dans les décisions de justice mises à la disposition du public par voie électronique « ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées », le législateur a légitimement voulu éviter qu’une telle réutilisation « permette, par des traitements de données à caractère personnel, de réaliser un profilage des professionnels de justice à partir des décisions rendues » qui pourrait conduire à « des pressions ou des stratégies de choix de juridiction de nature à altérer le [bon] fonctionnement de la justice ». C’est des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 qu’est déduit, pour la première fois, ce « principe de publicité des audiences devant les juridictions civiles et administratives » auquel le législateur peut apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles qui sont justifiées par « l’intérêt général » ou tenant à la nature de l’instance ou aux spécificités de la procédure , sous réserve qu’il n’en résulte pas « des atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ». Seul le 2° du paragraphe V de cet article 33 est censuré (publicité du jugement limité au dispositif en cas de débats en chambre du conseil pour un motif tenant un risque d’atteinte à l’intimité de la vie privée, à la demande de toutes les parties ou pour prévenir des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice) est censuré du fait de sa « généralité » et de son caractère « obligatoire » qui ne tient pas compte des seules hypothèses où elle est justifiée notamment par la protection du droit au respect de la vie privée.
L’article 7, en revanche, prévoyant de confier, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, aux caisses d’allocations familiales (CAF) la délivrance de titres exécutoires concernant la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, est censuré en relevant que ces caisses sont des personnes privées en charge d’une mission de service public et il ne peut leur être donné compétence pour « réviser le montant des contributions à l’entretien et à l’éducation des enfants qui ont fait l’objet d’une fixation par l’autorité judiciaire ou d’une convention homologuée par elle » dans la mesure où, de surcroît, elles sont tenues, en cas de non-paiement, de se substituer au débiteur défaillant.
Quant au volet pénal, on relève la validation d’un parquet national antiterroriste (art. 69), du prononcé des peines d’emprisonnement ferme (art. 74) et l’habilitation du gouvernement à réformer par voie d’ordonnance la justice pénale des mineurs (art. 93) mais il a censuré l’essentiel de l’article 4, les paragraphes II à IV, relatif, en cas d’enquête ou d’information judiciaire, au recours à des interceptions de correspondances émises par la voie de communications électroniques. Le Conseil a en effet rappelé que si le législateur peut prévoir des mesures d’investigations spéciales pour la constatation de crimes et délits d’une « gravité » et d’une « complexité » particulières, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, c’est sous réserve que les restrictions aux droits constitutionnellement garantis soient « proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises » et que ces mesures soient conduites dans « le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire » à qui il incombe de s’assurer que leur « mise en œuvre soit nécessaire à la manifestation de la vérité ». En l’espèce, les Sages critiquent que le législateur ait envisagé d’autoriser le recours à des mesures d’interception de correspondances pour des infractions ne présentant pas nécessairement un caractère de particulière gravité et complexité et, de plus, sans assortir ce recours des garanties permettant un « contrôle suffisant par le juge du maintien du caractère nécessaire et proportionné de ces mesures dans leur déroulé ».
Avec la même logique, a été censuré le 2° du paragraphe III de l’article 46 qui prévoyait le recours à des techniques spéciales d’enquête en cas de flagrance ou d’enquête préliminaire pour « tout crime » et non pour les seules infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées car, souligne le Conseil, s’agissant de techniques présentant un caractère particulièrement « intrusif », les dispositions contestées ne prévoyaient pas que le juge des libertés et de la détention (JLD) ait accès à l’ensemble des éléments de la procédure.
Le paragraphe III de l’article 49 (permettant au parquet d’autoriser des agents de police à pénétrer dans le domicile d’une personne passible d’une peine d’au moins trois an d’emprisonnement) et le 3° du paragraphe X de l’article 54 (supprimant l’obligation de l’accord de l’intéressé en cas de recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle pour la prolongation d’une mesure de détention provisoire) sont également censurés.
La garde des sceaux Nicole Belloubet se félicite que le Conseil ait « validé l’essentiel des très nombreuses dispositions de la loi » et la présidente du Conseil national des barreaux Christiane Féral-Schuhl se réjouit que « les observations de la profession d’avocat, portées par les syndicats de magistrats et de fonctionnaires de justice [aient] été entendues en partie et sur des points importants : 13 des 109 articles de la loi [ayant été] censurés ».