ACPR : Le transfert d'office d'un portefeuille d'assurance jugé inconstitutionnel

Le transfert d'office d'un portefeuille de contrats d'assurance d'une société titulaire d'un agrément entraîne une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, a jugé le Conseil constitutionnel à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soumise par la société Mutuelle des transports assurances (MTA).
En l'espèce, MTA est une société d’assurance mutuelle régie par les dispositions du code des assurances qui exerce une activité d’assurance obligatoire des artisans taxis. Son exercice clos à fin 2012 s’est soldé par un résultat net négatif et ses fonds propres ayant diminué, elle a vainement essayé de mettre en place un plan pour les renforcer et c'est ainsi que le collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a constaté, le 22 mai 2014, que « les intérêts des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires de la société étaient compromis ou susceptibles de l’être ».
Par une décision du 10 juillet 2014, l’ACPR a donc engagé à l’encontre de la société MTA la procédure de transfert d’office de son portefeuille en application de l'article L. 612-33 du code monétaire et financier, décision notifiée le 6 août 2014 et un avis portant appel à candidature pour la reprise du portefeuille a été publié au Journal officiel le 2 septembre 2014. La société MTA a alors déposé un recours en annulation le 9 septembre 2014 à l’encontre de la décision du 10 juillet 2014 portant ouverture de la procédure de transfert d’office du portefeuille et a demandé au Conseil d’État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du 8° du paragraphe I de l’article L. 612-33 précité.
La société requérante estimait qu'en permettant à l’ACPR de prononcer le transfert d’office de tout ou partie du portefeuille de contrats d’une société d’assurance à une autre société, les dispositions contestées instituent une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 « sans l’assortir des garanties légales ni respecter l’exigence d’une juste et préalable indemnité » et soutenait également qu’en permettant un transfert du portefeuille des contrats d’une société alors même que l’agrément permettant à cette société d’exercer son activité n’est pas encore retiré, les dispositions contestées méconnaissaient la liberté d’entreprendre de l’assureur, outre, était-il soutenu, une atteinte à la liberté contractuelle de l’assuré.
La Fédération française des sociétés d’assurances est intervenue volontairement devant le Conseil constitutionnel pour enfoncer le clou en soutenant que cette procédure de transfert conduisait « à une privation patrimoniale qui n’était pas assortie d’une compensation » et qui méconnaissait les exigences qui résultent des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789.
Le Conseil constitutionnel
Reprenant sa formule issue de sa décision du 16 janvier 1982 sur la loi de nationalisation
Relevant qu'au cas particulier, « le transfert d’office de tout ou partie du portefeuille s’opère sur décision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, sans que soit laissée à la personne visée la faculté, pendant une période préalable, de procéder elle-même à la cession de tout ou partie de ce portefeuille », entraînant « une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 », le Conseil souligne qu'aucune disposition législative ne prévoit la possibilité, pour la société d’assurance, « d’échapper à ce transfert de portefeuille non voulu en procédant de manière anticipée à une cession volontaire ou d’en retirer une certaine valeur ». Si, poursuit-il, en pratique, un transfert d’office du portefeuille peut s’accompagner du versement à la société cédante d’une somme d’argent, « ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’imposent de prévoir une telle indemnité lorsque ce portefeuille a une valeur positive ».
La disposition contestée est donc jugée contraire à la Constitution à compter de la publication de la décision et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.