Commission rogatoire : Le droit de se taire inscrit dans le marbre

Conseil constitutionnel.

En faisant obstacle, en toute circonstance, à la nullité d'une audition réalisée sous serment lors d'une garde à vue dans le cadre d'une commission rogatoire, les dispositions « dire toute la vérité, rien que la vérité » portent atteinte au droit de se taire, a jugé le Conseil constitutionnel.

Dans le cadre d'une requête en annulation devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris portant sur des actes de procédure pénale réalisés en juin et novembre 2012, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l'article 153 du code de procédure pénale (rédaction loi du 9 mars 2004) selon lequel :

Tout témoin cité pour être entendu au cours de l'exécution d'une commission rogatoire est tenu de comparaître, de prêter serment et de déposer. Lorsqu'il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction, il ne peut être retenu que le temps strictement nécessaire à son audition.
S'il ne satisfait pas à cette obligation, avis en est donné au magistrat mandant qui peut le contraindre à comparaître par la force publique. Le témoin qui ne comparaît pas encourt l'amende prévue par l'article 434-15-1 du code pénal.
L'obligation de prêter serment et de déposer n'est pas applicable aux personnes gardées à vue en application des dispositions de l'article 154. Le fait que les personnes gardées à vue aient été entendues après avoir prêté serment ne constitue toutefois pas une cause de nullité de la procédure

Il était soutenu que l'obligation de prêter serment au cours d'une enquête pénale, lorsqu'elle est imposée à une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction, méconnaissait le droit constitutionnellement reconnu de se taire et celui de ne pas participer à sa propre incrimination dans la mesure où elle s'oppose à la nullité des auditions réalisées sous serment au cours d'une garde à vue réalisée dans le cadre d'une commission rogatoire. 

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, rappelle le ConseilCon. constit., 4 nov. 2016, n° 2016-594 QPC, Sylvie T., pouvait seule être placée en garde à vue, selon l'article 63 du code de procédure pénale, « une personne à l'encontre de laquelle il existait une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle avait commis ou tenté de commettre une infraction ». Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, en application de l'article 62-2 du même code, peut seule être placée en garde à vue « une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement » et selon l'article 63-1 du même code, cette personne est immédiatement « informée de son droit, lors des auditions, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire », l’article 154 du même code prévoyant que ces dispositions sont applicables lors de l'exécution d'une commission rogatoire. 

Il ressort par ailleurs des articles 103 et 153 du code de procédure pénale que toute personne entendue comme témoin au cours de l'exécution d'une commission rogatoire est tenue de prêter serment de « dire toute la vérité, rien que la vérité »

Faire prêter serment à une personne entendue en garde à vue de « dire toute la vérité, rien que la vérité » peut être de nature à lui laisser croire qu'elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l'information qu'elle a reçue concernant ce droit, estime le Conseil qui juge qu’ « en faisant obstacle, en toute circonstance, à la nullité d'une audition réalisée sous serment lors d'une garde à vue dans le cadre d'une commission rogatoire, les dispositions contestées portent atteinte au droit de se taire de la personne soupçonnée » et la seconde phrase du dernier alinéa de l'article 153 du code de procédure pénale est donc déclarée contraire à la Constitution. 

Aucun motif, selon le Conseil, ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra dès la date de publication de la décision.