Cour d'assises : Pour la peine aussi, les décisions doivent être motivées

En n'imposant pas à la cour d'assises de motiver le choix de la peine, le législateur a méconnu, a jugé le Conseil constitutionnel, les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui imposent « la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine ».
À l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il était soutenu les articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale, en ce qu'elles n'imposent pas à la cour d'assises de motiver la peine, portent atteinte aux principes de « nécessité et de légalité des peines, au principe d'individualisation des peines, au droit à une procédure juste et équitable, aux droits de la défense et au principe d'égalité devant la loi et devant la justice ».
L'article 362 du code de procédure pénale prévoit en effet qu’ « en cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président donne lecture aux jurés des dispositions des articles 130-1, 132-1 et 132-18 du code pénal. La cour d'assises délibère alors sans désemparer sur l'application de la peine. Le vote a lieu ensuite au scrutin secret, et séparément pour chaque accusé./ La décision sur la peine se forme à la majorité absolue des votants. Toutefois, le maximum de la peine privative de liberté encourue ne peut être prononcé qu'à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et qu'à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel. Si le maximum de la peine encourue n'a pas obtenu cette majorité, il ne peut être prononcé une peine supérieure à trente ans de réclusion criminelle lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité et une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle lorsque la peine encourue est de trente ans de réclusion criminelle. Les mêmes règles sont applicables en cas de détention criminelle. Si la cour d'assises a répondu positivement à la question portant sur l'application des dispositions du second alinéa de l'article 122-1 du même code, les peines privatives de liberté d'une durée égale ou supérieure aux deux tiers de la peine initialement encourue ne peuvent être prononcées qu'à la majorité qualifiée prévue par la deuxième phrase du présent alinéa./ Si, après deux tours de scrutin, aucune peine n'a réuni la majorité des suffrages, il est procédé à un troisième tour au cours duquel la peine la plus forte proposée au tour précédent est écartée. Si, à ce troisième tour, aucune peine n'a encore obtenu la majorité absolue des votes, il est procédé à un quatrième tour et ainsi de suite, en continuant à écarter la peine la plus forte, jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée./ Lorsque la cour d'assises prononce une peine correctionnelle, elle peut ordonner à la majorité qu'il soit sursis à l'exécution de la peine avec ou sans mise à l'épreuve./ La cour d'assises délibère également sur les peines accessoires ou complémentaires./ Dans les cas prévus par l'article 706-53-13, elle délibère aussi pour déterminer s'il y a lieu de se prononcer sur le réexamen de la situation du condamné avant l'exécution de la totalité de sa peine en vue d'une éventuelle rétention de sûreté conformément à l'article 706-53-14 ».
L'article 365-1 du code de procédure pénale, quant à lui, est relatif à la motivation de l'arrêt de la cour d'assises et prévoit que « le président ou l'un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l'arrêt./ En cas de condamnation, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l'article 356, préalablement aux votes sur les questions./ La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément à l'article 364./ Lorsqu'en raison de la particulière complexité de l'affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés, il n'est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d'assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision ».
Créé par la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, l’article 365-1 du code de procédure pénale a déjà été examiné par le Conseil constitutionnel dans les considérants 29 à 31 de sa décision n° 2011-635 DC du 4 août 2011 et a été déclaré conforme à la Constitution mais depuis cette déclaration de conformité, relève toutefois le Conseil
Au visa des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Conseil considère que « le principe d'individualisation des peines implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce » et cette exigence constitutionnelle impose « la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine ».
Or, selon l'article 365-1 du code de procédure pénale, le président ou l'un des magistrats assesseurs désigné par lui doit rédiger la motivation de l'arrêt rendu par la cour d'assises et selon le deuxième alinéa de cet article, en cas de condamnation, la motivation doit comprendre l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises au terme des délibérations sur la culpabilité mais, en revanche, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l'article 365-1 du code de procédure pénale interdit « la motivation par la cour d'assises de la peine qu'elle prononce ».
En n'imposant pas à la cour d'assises de motiver le choix de la peine, le législateur a donc méconnu, juge le Conseil, les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789 et le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale est dès lors déclaré contraire à la Constitution.
L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet, constate le Conseil, de supprimer les modalités selon lesquelles, en cas de condamnation, la motivation d'un arrêt de cour d'assises doit être rédigée en ce qui concerne la culpabilité et entraînerait des « conséquences manifestement excessives », il est donc laissé au législateur un an, soit jusqu’au 1er mars 2019, pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée mais pour qu’elle cesse immédiatement, le Conseil juge que, pour les arrêts de cour d'assises rendus à l'issue d'un procès ouvert après publication de cette décision, les dispositions du deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale doivent être interprétées comme « imposant également à la cour d'assises d'énoncer, dans la feuille de motivation, les principaux éléments l'ayant convaincue dans le choix de la peine ».
Les arrêts de cour d'assises rendus en dernier ressort avant la publication de cette décision et ceux rendus à l'issue d'un procès ouvert avant la même date ne peuvent toutefois pas être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.