Cour d'assises : Pouvoir du président de refuser l’excuse de l’avocat commis d’office

Conseil constitutionnel.

Le président de la cour d'assises est compétent, a jugé le Conseil constitutionnel, pour « approuver les motifs d'excuse ou d'empêchement de l'avocat qu'il a commis d'office » dans le cadre de l’affaire — fort particulière — de l’avocat pénaliste lillois Frank Berton, poursuivi disciplinairement en novembre 2017 pour avoir refusé en 2014 d’être commis d’office pour défendre son propre client.

C’est en vertu des dispositions des articles 274 et 317 du code de procédure pénale que lorsque le président de la cour d'assises constate la défense de l'accusé n'est pas assurée, il lui commet d'office un avocat et, en application de l'article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, tel qu'interprété de manière constante par la Cour de cassation, il est seul compétent pour « admettre ou refuser les motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par l'avocat qui souhaite refuser son ministère » et l'avocat qui ne respecte pas sa commission d'office encourt une sanction disciplinaire.

Pour Frank Berton qui avait été commis — par la présidente d’une cour d’assises, Sophie Degouys, qu’il suspectait de « partialité » qu’il ne « voulait plus cautionner » — pour assurer la défense de son propre qu’il avait défendu en 2013, avec son confrère Éric Dupond-Moretti, devant la cour d’assises de Saint-Omer (Pas-de-Calais) et qui avait condamné à 29 ans de réclusion criminelle en première instance, le pouvoir ainsi reconnu au président de la cour d'assises de juger des motifs d'excuse ou d'empêchement présentés par l'avocat commis d'office « méconnaît les droits de la défense, le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d'impartialité des juridictions ».

Le Conseil constitutionnelCons. constit., 4 mai 2018, n° 2018-704 QPC, Franck Berton et a. écarte minutieusement, l’une après l’autre, toutes les critiques formulées contre les dispositions contestées par quatre séries de motifs.

En premier lieu, estiment les Sages, le pouvoir conféré au président de la cour d'assises de commettre un avocat d'office, pour la défense d'un accusé qui en serait dépourvu, vise justement à garantir les droits de la défense et c’est l'article 309 du code de procédure pénale qui confie au président de la cour d'assises la police de l'audience et la direction des débats. En lui donnant compétence pour se prononcer sur les motifs d'excuse ou d'empêchement de l'avocat qu'il a commis d'office, juge le Conseil, les dispositions contestées lui permettent d'apprécier si, compte tenu de l'état d'avancement des débats, de la connaissance du procès par l'avocat commis d'office et des motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués, il y a lieu, au nom des droits de la défense, de « commettre d'office un autre avocat au risque de prolonger le procès » et en lui permettant ainsi d'écarter des demandes qui lui paraîtraient infondées, ces dispositions mettent en œuvre l'objectif de « bonne administration de la justice ainsi que les exigences qui s'attachent au respect des droits de la défense ».

Deuxièmement, poursuit le Conseil, l'avocat commis d'office est tenu d'assurer la défense de l'accusé tant qu'il n'a pas été relevé de sa mission par le président de la cour d'assises, il exerce son ministère librement et les obligations de son serment lui interdisent de « révéler au président de la cour d'assises, au titre d'un motif d'excuse ou d'empêchement, un élément susceptible de nuire à la défense de l'accusé » et selon l'article 274 du code de procédure pénale, l'accusé peut à tout moment choisir son avocat, ce qui rend alors non avenue la désignation effectuée par le président de la cour d'assises.

Tertio, si le refus du président de la cour d'assises de faire droit aux motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par l'avocat commis d'office n'est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut toutefois être contestée par l'accusé, en cassation de son procès, et par l'avocat, à l'occasion de l'éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d'assises, est-il souligné.

Et, enfin, quatrièmement, le pouvoir conféré au président de la cour d'assises d'apprécier, compte tenu du rôle qui est le sien dans la conduite du procès, les motifs d'excuse ou d'empêchement de l'avocat qu'il a commis d'office « ne met pas en cause son impartialité », les dispositions contestées ne méconnaissent donc pas les exigences qui résultent de la garantie des droits prévue à l'article 16 de la Déclaration de 1789.

C’est donc devant ses pairs qu’il appartiendra à présent à Me Berton de justifier de son refus d’obtempérer à la décision le désignant contre son gré de défendre son propre client devant un président de cour d’assises qu’il suspectait d’être « partial ».