Vie privée : Effacement des données personnelles en cas de condamnation avec dispense de peine

En privant les personnes mises en cause dans une procédure pénale — à l’exception de celles bénéficiant d’un acquittement, d’une relaxe, d’un non-lieu ou d’un classement sans suite — de toute possibilité d’obtenir l’effacement de leurs données personnelles inscrites dans le fichier des antécédents judiciaires, le législateur a porté « une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée », a jugé le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
En cause, l'article 230-8 du code de procédure pénale dont le premier alinéa dispose que « le traitement des données à caractère personnel est opéré sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent qui demande qu'elles soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de requalification judiciaire. La rectification pour requalification judiciaire est de droit. Le procureur de la République se prononce sur les suites qu'il convient de donner aux demandes d'effacement ou de rectification dans un délai d'un mois. En cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien, auquel cas elle fait l'objet d'une mention. Lorsque le procureur de la République prescrit le maintien des données personnelles relatives à une personne ayant bénéficié d'une décision d'acquittement ou de relaxe devenue définitive, il en avise la personne concernée. Les décisions de non-lieu et de classement sans suite font l'objet d'une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l'effacement des données personnelles. Lorsqu’une décision fait l'objet d'une mention, les données relatives à la personne concernée ne peuvent faire l'objet d'une consultation dans le cadre des enquêtes administratives […]. Les décisions du procureur de la République prévues au présent alinéa ordonnant le maintien ou l'effacement des données personnelles sont prises pour des raisons liées à la finalité du fichier au regard de la nature ou des circonstances de commission de l'infraction ou de la personnalité de l'intéressé ».
Il était soutenu que ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée en ce qu'elles permettent aux seules personnes ayant bénéficié d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite d'obtenir un effacement anticipé des données à caractère personnel les concernant inscrites au sein d'un fichier de traitement d'antécédents judiciaires car elles excluent les personnes déclarées coupables d'une infraction mais dispensées de peine et cela porterait « une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, compte tenu de la nature des données enregistrées, de leur durée de conservation, de la finalité de police du fichier et de son périmètre d'utilisation ».
En application de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 relatif au respect de la vie privée, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être, rappelle le Conseil
En l’espèce, selon les dispositions contestées, ces traitements sont opérés sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent et en cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien et ce dernier peut également ordonner l'effacement des données personnelles en cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite.
En application de l'article 230-9 du code de procédure pénale, un magistrat est chargé de suivre la mise en œuvre et la mise à jour de ces traitements et il dispose des mêmes pouvoirs d'effacement que le procureur de la République. Il résulte d'une jurisprudence constante, relève le Conseil, qu'aucune personne mise en cause autre que celles ayant fait l'objet d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite ne peut obtenir, sur le fondement des dispositions contestées, l'effacement des données qui la concernent. En autorisant la création de traitements de données à caractère personnel recensant des antécédents judiciaires et l'accès à ces traitements par des autorités investies par la loi d'attributions de police judiciaire et par certains personnels investis de missions de police administrative, le législateur, admet le Conseil, a entendu leur confier un outil d'aide à l'enquête judiciaire et à certaines enquêtes administratives pour permettre d’atteindre les objectifs de valeur constitutionnelle « de recherche des auteurs d'infractions et de prévention des atteintes à l'ordre public ».
Mais en prévoyant que les fichiers d'antécédents judiciaires peuvent contenir les informations recueillies au cours d'une enquête ou d'une instruction concernant une personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer à la commission de certaines infractions, le législateur a permis que figurent dans ce fichier des données particulièrement sensibles et c’est l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, relève le Conseil, qui prévoit que peuvent être enregistrés les éléments « d'état civil, la profession ou la situation familiale de la personne et une photographie comportant des caractéristiques techniques permettant de recourir à un dispositif de reconnaissance faciale » et ces fichiers d'antécédents judiciaires sont susceptibles de porter sur un grand nombre de personnes dans la mesure où y figurent des informations concernant toutes les personnes mises en cause pour un crime, un délit et certaines contraventions de la cinquième classe. Le législateur n'a toutefois pas fixé la durée maximum de conservation des informations enregistrées dans un fichier d'antécédents judiciaires et c’est l'article R. 40-27 du code de procédure pénale qui prévoit qu'elles sont conservées « pendant une durée comprise entre cinq ans et quarante ans selon l'âge de l'individu et la nature de l'infraction » et par ailleurs, ces informations peuvent être consultées non seulement aux fins de constatation des infractions à la loi pénale, de rassemblement des preuves de ces infractions et de recherche de leurs auteurs mais également « à d'autres fins de police administrative ».
En privant les personnes mises en cause dans une procédure pénale, autres que celles ayant fait l'objet d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite, de toute possibilité d'obtenir l'effacement de leurs données personnelles inscrites dans le fichier des antécédents judiciaires, les dispositions contestées portent dès lors, jugent les Sages, « une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée » justifiant de déclarer le premier alinéa de l'article 230-8 du code de procédure pénale contraire à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel ne disposant pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement, indique-t-il, il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée mais l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver l'ensemble des personnes inscrites dans un fichier d'antécédents judiciaires ayant bénéficié d'un acquittement, d'une relaxe, d'un non-lieu ou d'un classement sans suite, de la possibilité d'obtenir l'effacement de leurs données personnelles et cela entraînerait des « conséquences manifestement excessives » qui justifient de reporter au 1er mai 2018 la date de l'abrogation des dispositions contestées.