Conseil constitutionnel : La loi de finances 2015 validée à l'exception d'un article jugé inintelligible

Le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions des articles 16, 23, 31, 33, 78 et 82 de la loi de finances pour 2015 mais a, en revanche, jugé contraires à la Constitution l’article 79 taxé d'inintelligibilité et deux cavaliers budgétaires (articles 46 et 117) introduits selon une procédure contraire à la Constitution.
Les dispositions juges conformes à la Constitution
Ont été jugés conformes
L’exonération partielle de certains biens ruraux au titre de l’ISF
Dans le cadre de l’incitation à la détention de biens ruraux donnés en bail à long terme ou en bail cessible, l’article 885 H du code général des impôts (CGI) prévoit une exonération partielle de la valeur de ces biens pour le calcul de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), à hauteur des trois quarts de leur valeur, dans la limite d’un plafond qui est révisé chaque année dans les mêmes proportions que la limite supérieure de la première tranche du barème de l’impôt sur le revenu et qui s’est élevé, pour l’année 2014, à 102 717 euros et à hauteur de la moitié de leur valeur au-delà de ce plafond. Le même article prévoit que cette exonération est applicable, de façon distincte, à la valeur des parts de groupements fonciers agricoles et de groupements agricoles fonciers.
L’article 16 de la loi de finances pour 2015
Les conséquences pour les contribuables des modifications résultant de l’article 16 de la loi de finances pour 2015 sont quasi insignifiantes. Pour un contribuable assujetti à l’ISF, dans l’hypothèse maximale d’application au taux marginal maximal de 1,5 % et de détention tant de biens ruraux donnés en bail à long terme ou en bail cessible que de parts de groupements fonciers agricoles ou de groupements agricoles fonciers, le ressaut d’assiette s’élèvera à 410 euros (deux fois 25 % de l’écart entre 102 717 euros et 101 897 euros) et le surcroît d’imposition à 6 euros par an.
Les députés requérants considéraient néanmoins que ces dispositions — qui ont pour effet de supprimer tout ajustement de l’exonération partielle des biens ruraux de l’assiette de l’ISF en fonction de l’érosion monétaire — méconnaissaient la prise en compte des facultés contributives et portaient atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques, en se prévalant de la décision
Le parallèle n'était toutefois pas exact. Les dispositions contestées modifient un dispositif qui crée une incitation fiscale à la détention de certains types de biens et il est difficilement envisageable de pouvoir considérer que le caractère insuffisant de l’incitation pourrait être à l’origine d’une méconnaissance des capacités contributives, outre le fait que dans le précédent invoqué, il s’agissait de contrôler l’imposition de la plus-value alors qu'au cas particulier, le dispositif s’inscrit dans le cadre d’une imposition portant sur la détention du capital.
Après avoir relevé, comme il a déjà eu l’occasion de le faire à plusieurs reprises, que « l’impôt de solidarité sur la fortune ne figure pas au nombre des impositions sur le revenu [...] en instituant un tel impôt, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et de droits », le Conseil a rappelé que les dispositions de l’article 885 H du CGI instituent des exonérations sur la valeur de certains biens ruraux au titre de l’assujettissement à l’ISF afin d’inciter à l’acquisition et à la détention de ce type de biens pour juger que les dispositions de l’article 16 ne méconnaissaient pas les facultés contributives des contribuables.
La dotation globale de fonctionnement pour l’année 2015
Le paragraphe I de l’article 23 de la loi de finances pour 2015 fixe le montant global de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour l’année 2015 en complétant l’article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales d’un alinéa ainsi rédigé : « En 2015, ce montant est égal à 36 607 053 000 € ». La DGF 2015 est inférieure de 3 513 991 000 euros à celle de 2014. Le paragraphe II de l’article 23 détaille la répartition de la réduction de cette dotation entre différents mécanismes de compensation ou de dotation de l’État aux collectivités territoriales, étant précisé que la répartition de cette réduction entre les différents niveaux de collectivités territoriales est déterminée à l’article 107 de la loi de finances. Le paragraphe III de l’article 23 définit le taux de minoration des allocations compensatrices.
Il était soutenu que cela porte atteinte aux principes de libre administration et d’autonomie financière des collectivités territoriales, garantis respectivement par les articles 72 et 72-2 de la Constitution avec à l’appui de leur argumentation, l’existence supposée d’un effet « ciseau » résultant de la réduction de la DGF combinée avec la hausse des dépenses sur lesquelles les collectivités n’ont qu’une faible marge de manœuvre.
S’agissant de la diminution des ressources induite par la réduction de la DGF, le Conseil a relevé qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faire contribuer les collectivités territoriales « à l’effort de réduction des déficits publics à due proportion de leur part dans les dépenses de l’ensemble des administrations publiques » et que le montant de la réduction de la dotation globale de fonctionnement représente 1,9 % des recettes de ces collectivités territoriales, écartant ainsi l’atteinte au principe d’autonomie financière en relevant que « cette réduction n’a pas pour effet de diminuer la part de leurs ressources propres et, partant, de porter atteinte à leur autonomie financière » et l’atteinte au principe de libre administration en jugeant que cette réduction « n’est pas d’une ampleur telle qu’elle entraverait la libre administration des collectivités territoriales ».
Le plafonnement de l’affectation de taxe additionnelle à la CVAE et le prélèvement exceptionnel sur les chambres de commerce et d’industrie
L’article 31 de la loi de finances pour 2015 modifie le plafond d’affectation de plusieurs taxes affectées. Le Q de son paragraphe I est relatif au plafonnement de l’affectation du produit de la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises (CVAE) au profit du fonds de financement des chambres de commerce et d’industrie de région (FFCCIR) et réduit ce plafond de 213 millions d’euros, ce qui entraîne une perte de recettes équivalentes pour ce fonds. L’article 33 opère un prélèvement exceptionnel sur les chambres de commerce et d’industrie (CCI) par une double opération. 500 millions d’euros sont prélevés, au profit du budget général de l’État, sur le produit de la taxe additionnelle à la CVAE affecté au FFCCIR mais ce prélèvement est compensé par un prélèvement du même montant, cette fois-ci au bénéfice du FFCCIR, opéré sur le fonds de roulement de certaines CCI, réparti proportionnellement entre elles.
Cette mesure, qui fait participer les CCI à l’effort de redressement des comptes publics, serait justifiée par le dynamisme des recettes fiscales qui leur sont affectées, sans corrélation avec l’évolution de leurs missions de service public, elles ont augmenté de 19 % en euros constants entre 2002 et 2012. Le« trop versé », sur dix ans, serait ainsi de 1,45 milliard d’euros. Au cours des débats parlementaires, il était question d'une nouvelle répartition du prélèvement entre les CCI pour tenir compte non seulement de l’excédent de leurs fonds de roulement (70 % du prélèvement) mais également du poids économique respectif de chaque CCI (30 % du prélèvement).
Les sénateurs requérants soutenaient une atteinte au principe d’universalité budgétaire sur le fondement de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) applicables à l’affectation de recettes à certaines dépenses de l’État mais en l'espèce, ils étaient inopérants dès lors qu’était en cause l’affectation d’une ressource fiscale à des établissements publics et c'est ainsi que le Conseil a jugé que ni le plafonnement de l’affectation de recettes fiscales aux CCI ni l’abaissement de ce plafond ne méconnaissaient les exigences de la LOLF. Un second grief fondé sur l’invocation de la garantie des droits reposait sur une interprétation erronée de la jurisprudence du Conseil quant aux « effets qui peuvent légitimement être attendus » de situations légalement acquises.
Il était en effet soutenu que les CCI pouvaient « légitimement s’attendre » à ce que leurs fonds de roulement leur soient acquis et que la perte de recettes mettait en cause les « exigences constitutionnelles qui s’attachent à l’exercice » de leurs missions. Ces arguments n'ont pas prospéré, le Conseil a rappelé que les CCI sont des établissements publics placés sous la tutelle de l’État et qu’aucune exigence constitutionnelle ne leur garantit le droit de conserver leur trésorerie ou un certain niveau de recettes fiscales, ajoutant que les missions que les CCI accomplissent ne mettent en œuvre aucune exigence constitutionnelle.
Un troisième grief visait l’imprécision des critères (fonds de roulement et poids économique) de répartition du prélèvement de 500 millions d’euros sur les CCI, il a également été écarté dans la mesure où, relève le Conseil, la loi opère elle-même la répartition du prélèvement dans un tableau déterminant, pour chaque CCI, le montant qui est prélevé sur sa trésorerie. Un ultime grief évoquait les atteintes au principe d’égalité résultant des critères retenus et de certaines exclusions instituées au profit de certains investissements des CCI. Le Conseil a estimé qu’étaient objectifs et rationnels, au regard de l’appréciation de la capacité financière des CCI, tant le critère du nombre de jours de fonds de roulement que le critère de pondération en fonction du « poids économique ». Il était par ailleurs loisible au législateur, estime le Conseil, de préserver certains investissements (ports, aéroports, ponts, centres d’apprentissage ou de formation en alternance) en retirant les données correspondantes du calcul du fonds de roulement.
La sanction du défaut ou de réponse partielle à la mise en demeure de l’administration en matière de prix de transfert
Les articles L. 13 AA et L. 13 AB du livre des procédures fiscales imposent la tenue d’une documentation en matière de prix de transferts entre des sociétés qui sont en situation de dépendance. En cas de non respect de cette obligation, une mise en demeure est adressée. L’article 1735 ter du CGI sanctionne d’une amende le défaut de réponse ou la réponse partielle à cette mise en demeure. Le montant de cette amende comporte un plancher, fixé à 10 000 euros. Au-delà, son montant correspond à 5 % des bénéfices transférés.
L’article 78 de la loi de finances pour 2015 remplace les dispositions relatives au plafond de l’amende encourue en prévoyant que cette amende peut atteindre le plus élevé de l’un des deux montants suivants, soit « 0,5 % du montant des transactions concernées par les documents ou compléments qui n’ont pas été mis à disposition de l’administration après mise en demeure »soit « 5 % des rectifications du résultat fondées sur l’article 57 du présent code et afférentes aux transactions mentionnées au 1° du présent article ».
Les sénateurs soutenaient le principe de proportionnalité des peines n'était pas respectant en invoquant la décision du Conseil relative à la loi de finances pour 2014 à l'occasion de laquelle avait été développé une jurisprudence particulière sur les peines dont le plafond n’est pas un montant fixé par la loi mais un taux proportionnel et en pareil cas, le Conseil contrôle non seulement le caractère non disproportionné du taux mais aussi l’existence d’un lien entre la nature de l’infraction et l’assiette du calcul. Il a ainsi été jugé
Mais dans le cas d’espèce, le Conseil a considéré que « le taux de 0,5 % n’est appliqué qu’au montant des seules transactions pour lesquelles les documents ou compléments spécialement désignés et réclamés par mise en demeure de l’administration n’ont pas été mis à sa disposition ou ne l’ont été que partiellement [...] le législateur a retenu un critère de calcul du maximum de la peine encourue en lien avec les infractions réprimées [...] la détermination du plafond d’une amende prononcée en proportion de la gravité des manquements réprimés, le taux de 0,5 % appliqué à ce montant n’est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de ces infractions ».
Le relèvement à 18 000 € du plafonnement de la réduction d’impôt prévue par le XII de l’article 199 novovicies du CGI
L’article 5 de la loi de finances pour 2015 modifie l’article 199 novovicies du CGI. Dans le dispositif antérieur, la durée de location est fixée à neuf ans et le taux de la réduction est fixé à 18 % pour la métropole et 29 % pour l’outre-mer. Avec le nouveau dispositif, le contribuable pourra opter pour une durée plus courte (6 ans) avec un taux de réduction moindre (13 % en métropole et 23 % outre-mer). L’assiette de cette réduction correspond à la valeur du logement, avec un plafond de 300 000 euros.
L’article 82, issu d’un amendement du gouvernement introduit à l’Assemblée nationale, modifie le plafond applicable à l’avantage fiscal que constitue le dispositif lorsqu’il s’applique outre-mer. Il porte le plafond de cet avantage fiscal de 10 000 à 18 000 euro qui n'était jusque là applicable qu’à deux dispositifs : les investissements outre-mer (art. 199 undecies A, 199 undeciesB et 199 undecies C) et les souscriptions au capital des sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (SOFICA). L’article 82 ajoute à cette liste la réduction d’impôt sur le revenu prévue par le XII de l’article 199 novovicies. Cette élévation du plafond est cohérente avec le régime modifié par l’article 5 applicable outre-mer : avec un taux de 23 % de réduction répartie sur six ans, le plafond fixé à 10 000 euros par an serait atteint dès que la valeur du bien excéderait 260 000 euros. L’élévation du plafond pour cet avantage est destinée à permettre que l’avantage produise un effet progressif dans la seule limite du plafonnement de l’assiette de la réduction (300 000 euros).
Il était soutenu que cet article 82 aurait dû figurer en première partie de la loi de finances dès lors qu’il est applicable à des investissements réalisés à compter du 1er septembre 2014 mais son paragraphe II précise toutefois que l’élévation du plafond de la réduction d’impôt est applicable aux revenus de l’année 2015. Le dispositif n’aura donc une incidence que sur les recettes fiscales à compter de l’année 2016 et le grief est donc écarte.
La disposition jugée inintelligible
L’article 79 insérait dans le code général des impôts un article 1740 C ainsi rédigé :
« Toute personne qui, avec l’intention de faire échapper autrui à l’impôt, s’est entremise, a apporté son aide ou son assistance ou s’est sciemment livrée à des agissements, manœuvres ou dissimulations conduisant directement à la réalisation d’insuffisances, d’inexactitudes, d’omissions ou de dissimulations ayant conduit à des rappels ou rehaussements assortis de la majoration prévue au b de l’article 1729 est redevable d’une amende égale à 5 % du chiffre d’affaires ou des recettes brutes qu’elle a réalisés à raison des faits sanctionnés au titre du présent article. L’amende ne peut pas être inférieure à 10 000 €. »
Il était soulevé une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif en soutenant que la personne mise en cause ne serait pas à même de contester la qualification d’abus de droit ayant conduit à l’application, à un contribuable tiers, des majorations prévues par le b de l’article 1729 en cas d’abus de droit. Était contesté la possibilité que la sanction prévue par l’article 1740 C soit appliquée sans attendre que la sanction prononcée contre ce contribuable au titre de l’abus de droit soit devenue définitive. Il s'agissait donc d'une atteinte aux droits de la défense mais c'est sur le fondement du principe de légalité des délits et des peines que le Conseil constitutionnel s’est placé pour déclarer cet article contraire à la Constitution.
Le Conseil a développé une jurisprudence abondante sur l’exigence qui s’impose au législateur, en matière répressive, de définir avec précision les délits qu’il entend réprimer et les peines qui leur sont applicables.
Au cas particulier, ce sont deux imprécisions dans la rédaction des dispositions contestées qui conduisent le Conseil à constater la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines. D’une part, il n’apparaît pas clairement s’il est reproché à la personne mise en cause d’avoir participé à un abus de droit et si, dans ce cas, il lui serait possible de contester la qualification de l’abus de droit ou si, au contraire, l’existence de majorations au titre de l’abus de droit appliquées au contribuable tiers constituait, dans la définition de l’infraction, une condition purement objective. Le respect des droits de la défense conduirait vers la première interprétation, mais la lettre du texte s’en éloignait. Se posait donc la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelles conditions la personne mise en cause serait en mesure de contester l’existence de l’abus de droit, en particulier dans l’hypothèse où le contribuable tiers ne l’avait pas contesté ou l’avait fait de manière infructueuse. Et si la procédure suivie à l’encontre de la personne mise en cause était distincte de la procédure d’imposition du contribuable tiers, se posait également la question de la dévolution de la charge de la preuve et de la qualification d’abus de droit et, d’autre part, de l’entremise de la personne mise en cause.
D’autre part, l’assiette à laquelle le taux de 0,5 % est appliqué pour calculer le plafond de l’amende était également définie de façon imprécise. La lettre du texte laissait entendre qu’il s’agit du chiffre d’affaires ou des recettes que le tiers mis en cause a réalisés à son bénéfice. Le gouvernement soutenait dans ses écritures que l’assiette de ce calcul est le chiffre d’affaires ou les recettes brutes « perçues en raison des faits sanctionnés par la procédure d’abus de droit ». Des imprécisions qui auront été fatales et ont conduit le Conseil à juger que la définition de cette nouvelle infraction et de l’amende fiscale la réprimant méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines.