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Détention provisoire : Visites et téléphones mieux encadrés

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Téléphone en prison. Téléphone en prison.

Le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution certaines dispositions encadrant les conditions selon lesquelles une personne détenue peut recevoir des visites ou être autorisée à téléphoner.

Le permis de visite est encadré par deux dispositions législatives, l'article 35 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 selon lequel :

Le droit des personnes détenues au maintien des relations avec les membres de leur famille s'exerce soit par les visites que ceux-ci leur rendent, soit, pour les condamnés et si leur situation pénale l'autorise, par les permissions de sortir des établissements pénitentiaires. Les prévenus peuvent être visités par les membres de leur famille ou d'autres personnes, au moins trois fois par semaine, et les condamnés au moins une fois par semaine.
L'autorité administrative ne peut refuser de délivrer un permis de visite aux membres de la famille d'un condamné, suspendre ou retirer ce permis que pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions. 
L'autorité administrative peut également, pour les mêmes motifs ou s'il apparaît que les visites font obstacle à la réinsertion du condamné, refuser de délivrer un permis de visite à d'autres personnes que les membres de la famille, suspendre ce permis ou le retirer. 
Les permis de visite des prévenus sont délivrés par l'autorité judiciaire. 
Les décisions de refus de délivrer un permis de visite sont motivées . 

et l'article 145-4 du code de procédure pénale selon lequel :

Lorsque la personne mise en examen est placée en détention provisoire, le juge d'instruction peut prescrire à son encontre l'interdiction de communiquer pour une période de dix jours. Cette mesure peut être renouvelée, mais pour une nouvelle période de dix jours seulement. En aucun cas, l'interdiction de communiquer ne s'applique à l'avocat de la personne mise en examen.
Sous réserve des dispositions qui précèdent, toute personne placée en détention provisoire peut, avec l'autorisation du juge d'instruction, recevoir des visites sur son lieu de détention. 
À l'expiration d'un délai d'un mois à compter du placement en détention provisoire, le juge d'instruction ne peut refuser de délivrer un permis de visite à un membre de la famille de la personne détenue que par une décision écrite et spécialement motivée au regard des nécessités de l'instruction. 
Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai au demandeur. Ce dernier peut la déférer au président de la chambre de l'instruction qui statue dans un délai de cinq jours par une décision écrite et motivée non susceptible de recours. Lorsqu'il infirme la décision du juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction délivre le permis de visite

Il résulte de ces deux textes que, durant l'instruction, le permis de visite est délivré par le juge d'instruction et dans les autres cas de détention provisoire, seules les dispositions de l'article 35 précité s'appliquent.

Quant aux conditions d'accès au téléphone pour les prévenus, elles sont définies par l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 selon lequel :

Les personnes détenues ont le droit de téléphoner aux membres de leur famille. Elles peuvent être autorisées à téléphoner à d'autres personnes pour préparer leur réinsertion. Dans tous les cas, les prévenus doivent obtenir l'autorisation de l'autorité judiciaire.
L'accès au téléphone peut être refusé, suspendu ou retiré, pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information
Le contrôle des communications téléphoniques est effectué conformément à l'article 727-1 du code de procédure pénale. 

C'est la section française de l'Observatoire international des prisons (SF-OIP) qui avait sollicité, le 9 juin 2015, du garde des sceaux l'abrogation de certaines dispositions réglementaires du code de procédure relatives aux demandes de permis de visite, d'accès au téléphone et aux translations judiciaires qui ont pour effet de priver les détenus et leur famille de l'exercice des voies de recours en cas de silence gardé par l'autorité judiciaire compétente pour statuer sur ces demandes. Par une requête du 8 décembre 2015, la SF-OIP a contesté devant le Conseil d'État la décision implicite de rejet et une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été soulevée à cette occasion.

L'association soutenait que les dispositions litigieuses méconnaissaient le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit de mener une vie familiale normale et le droit au respect de la vie privée. Elle soutenait également que, faute de déterminer de façon suffisante des garanties nécessaires à la protection de ces mêmes droits, elles sont entachées d'une incompétence négative de nature à leur porter atteinte. En premier lieu, il était relevé que, pendant l'instruction, le droit à un recours effectif est méconnu puisque les décisions relatives au permis de visite de personnes autres que les membres de la famille de la personne placée en détention provisoire ne peuvent être contestées, et qu'il en va de même de celles relatives à l'accès au téléphone et aux translations judiciaires de la personne placée en détention provisoire. Elle faisait aussi valoir qu'aucun délai n'est prescrit au juge d'instruction pour statuer sur les demandes de permis de visite. En second lieu, il était souligné que les dispositions contestées ne précisent pas les motifs de nature à justifier, pendant l'instruction, le refus d'une demande de permis de visite pour les personnes autres que les membres de la famille. En troisième lieu, après la clôture de l'instruction, les décisions de l'autorité judiciaire en matière de permis de visite, d'autorisation de téléphoner et de translation judiciaire de la personne placée en détention provisoire ne peuvent être contestées. Enfin, elle fait valoir qu'après la clôture de l'instruction, les dispositions contestées n'énumèrent pas les motifs de nature à fonder une décision défavorable. 

La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale et sur les mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009. 

L'atteinte portée au droit à un recours juridictionnel effectif

Les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale ne prévoient, relève le Conseil constitutionnel1 une voie de recours qu'à l'encontre des décisions refusant d'accorder un permis de visite aux membres de la famille de la personne placée en détention provisoire au cours de l'instruction. Ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne permettent de contester devant une juridiction une décision refusant un permis de visite dans les autres hypothèses, qu'il s'agisse d'un permis de visite demandé au cours de l'instruction par une personne qui n'est pas membre de la famille ou d'un permis de visite demandé en l'absence d'instruction ou après la clôture de celle-ci. De même, l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 concernant l'accès au téléphone ne prévoit aucune voie de recours à l'encontre des décisions refusant l'accès au téléphone à une personne placée en détention provisoire. 

Pour le Conseil, l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du magistrat — excepté lorsque cette décision est relative au refus d'accorder, durant l'instruction, un permis de visite au profit d'un membre de la famille du prévenu — conduit à ce que la procédure contestée méconnaisse les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et prive ainsi de garanties légales la protection constitutionnelle du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale. 

Le délai de réponse à une demande de permis de visite d'un membre de la famille

Si les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale imposent au juge d'instruction une décision écrite et spécialement motivée pour refuser de délivrer un permis de visite à un membre de la famille de la personne détenue — lorsque le placement en détention provisoire excède un mois — et que cette décision peut être déférée au président de la chambre de l'instruction qui doit statuer dans un délai de cinq jours, ces dispositions n'imposent toutefois pas au juge d'instruction de statuer dans un délai déterminé et, de surcroît, s'agissant d'une demande portant sur la possibilité pour une personne placée en détention provisoire de recevoir des visites, l'absence de tout délai déterminé imparti au juge d'instruction pour statuer n'ouvre aucune voie de recours en l'absence de réponse du juge. Cette absence de délai déterminé conduit donc, selon le Conseil, à ce que la procédure applicable méconnaisse les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et prive également de garanties légales la protection constitutionnelle du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale. 

Les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale et les mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 sont dès lors déclarés contraires à la Constitution.

Les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité reportés au 31 décembre 2016

En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision mais, souligne le Conseil, les dispositions du 9° du paragraphe I de l'article 27 quater du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale prévoient de modifier l'article 145-4 du code de procédure pénale et notamment ses troisième et quatrième alinéas.

Il est en effet prévu d'ajouter des conditions de délivrance de l'autorisation de téléphoner à une personne placée en détention provisoire ainsi que des motifs pouvant être pris en compte pour refuser de délivrer un permis de visite ou une autorisation de téléphoner à une telle personne. Il est également prévu d'imposer aux magistrats compétents pour répondre à ces demandes un délai pour prendre ces décisions et d'aménager une voie de recours à leur encontre.

Le 4° du paragraphe I de l'article 27 ter du même projet de loi prévoit enfin qu'en l'absence d'un recours spécifique prévu par les textes, l'absence de réponse du ministère public ou de la juridiction dans un délai de deux mois à compter d'une demande permet d'exercer un recours contre la décision implicite de rejet de la demande.

Pour éviter que cette déclaration d'inconstitutionnalité affecte les modifications législatives en cours d'adoption; elle est reportée jusqu'à l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives ou, au plus tard, jusqu'au 31 décembre 2016, ce qui empêche de contester les décisions prises en vertu de ces dispositions avant cette date sur le fondement de cette inconstitutionnalité. 

 

  • 1Cons. const., 24 mai 2016, n° 2016-543 QPC, section française de l'observatoire international des prisons.

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