Liberté d'expression : Seconde censure du délit de consultation de sites "terroristes"

Conseil constitutionnel

Pour la seconde fois en dix mois, le Conseil constitutionnel a censuré le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes prévu et réprimé par l'article 421-2-5-2 du code pénal et issu de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.

Censuré dans sa première rédaction par une décision du 10 février 2017, le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes avait été rétabli, deux semaines plus tard, sous une nouvelle rédaction, par l’article 24 de la loi du 28 février 2017 précitée, pour sanctionner d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait « de consulter de manière habituelle, sans motif légitime, un service de communication au public en ligne faisant l'apologie ou provoquant à la commission d'actes de terrorisme et comportant des images ou représentations d'atteintes volontaires à la vie ».

À l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, il était notamment soutenu que la liberté de communication était méconnue par ces dispositions dès lors que l'atteinte portée par la disposition contestée n'était « ni nécessaire, compte tenu des dispositifs juridiques déjà en vigueur, ni adaptée et proportionnée »

La liberté d'expression et de communication, acquiesce le ConseilCons. constit., 15 déc. 2017, n° 2017-682 QPC, David P. est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés, ce qui implique que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ».

S'agissant de la conformité des dispositions contestées au regard du principe de nécessité des peines, les Sages relèvent que, d'une part, la législation comprend un ensemble d'infractions pénales autres que celle contestée et de dispositions de procédure pénale spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d'actes de terrorisme et, d'autre part, le législateur a également conféré à l'autorité administrative de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d'actes de terrorisme. Au recensement des dispositions législatives en vigueur précédemment opéré dans sa décision de février et repris aux paragraphes 7 à 11 de la décision de ce jour, le Conseil ajoute que, depuis l'entrée en vigueur des dispositions contestées, le législateur a complété les pouvoirs de l'administration en adoptant, par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, de nouvelles mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme pour en déduire qu'au regard de l'exigence de nécessité de l'atteinte portée à la liberté de communication, les autorités administrative et judiciaire disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et pour réprimer leurs auteurs, mais aussi « pour surveiller une personne consultant ces services et pour l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d'exécution ».

Quant aux exigences d'adaptation et de proportionnalité requises en matière d'atteinte à la liberté de communication, le Conseil constitutionnel relève que, si les dispositions contestées prévoient que, pour tomber sous le coup du délit qu'elles instaurent, la consultation doit s'accompagner de la manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur les sites consultés, « cette consultation et cette manifestation ne sont pas susceptibles d'établir à elles seules l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes ». Ces dispositions répriment donc d'une peine de deux ans d'emprisonnement « le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, sans que soit retenue comme élément constitutif de l'infraction l'intention terroriste de l'auteur de la consultation » et si le législateur a exclu la pénalisation de la consultation lorsqu'elle répond à un « motif légitime », la portée de cette exemption ne peut être déterminée en l'espèce, faute notamment qu'une personne adhérant à l'idéologie véhiculée par ces sites paraisse susceptible de relever de l'un des exemples de motifs légitimes énoncés par le législateur.

Il en résulte donc, pour le Conseil, « une incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de l'usage d'internet pour rechercher des informations » et il en déduit que cela porte « une atteinte à l'exercice de la liberté de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée » pour déclarer inconstitutionnelles avec effet immédiat les dispositions litigieuses.