QPC EADS : Une sanction de l'AMF ne peut se cumuler avec une sanction pénale

Le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution les articles L. 465-1 et 621-15 du code monétaire et financier concernant les sanctions relatives au délit d'initié et au manquement d'initié respectivement dans la mesure où ils ne peuvent être « regardés comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction » mais leur abrogation est reportée au 1er septembre 2016.

Il s'agit des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) dites « EADS » et les requérants estimaient qu'en permettant que des poursuites pénales visant les mêmes faits que ceux poursuivis devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) puissent être engagées et prospérer, les dispositions litigieuses « portaient atteinte, en méconnaissance du principenon bis in idem, aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines et au droit au maintien des situations légalement acquises ».

Il était en effet soutenu que la définition du manquement d'initié, poursuivi devant la commission des sanctions de l'AMF, et la définition du délit d'initié, poursuivi devant les juridictions pénales sont similaires et en confiant à l'AMF un pouvoir de sanction de nature pénale, ces dispositions portent aussi atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, outre le fait qu'en obligeant l'autorité judiciaire à recueillir l'avis de l'AMF en cas de poursuites pour des faits de délit d'initié et en lui permettant d'obtenir communication des éléments de l'enquête administrative et en l'autorisant à prendre en compte l'éventuelle décision de sanction prononcée par l'AMF, le principe de la présomption d'innocence et les droits de la défense étaient méconnus.

Rappelant liminairement sa jurisprudence selon laquelle le principe de nécessité des délits et des peines énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction, le ConseilCons. constit., 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et 2015-462, John L. et a. a procédé à un quadruple contrôle des dispositions des deux articles litigieux du code monétaire et financier.

Primo, il a comparé la définition du délit d'initié et celle du manquement d'initié pour relever que les articles L. 465-1 et L. 621-15 du CMF tendent à réprimer les mêmes faits. Les délits d'initié et manquements d'initié ne peuvent en effet être commis qu'à l'occasion de l'exercice de certaines fonctions. Le délit d'initié par une personne possédant une information privilégiée « en connaissance de cause  » et le manquement d'initié par une personne « qui sait ou qui aurait dû savoir » que l'information qu'elle détenait constituait une information privilégiée.

Deuxio, la finalité de la répression du délit d'initié et de celle du manquement d'initié. L'article L. 465-1 est inclus dans un chapitre du CMF consacré aux« infractions relatives à la protection des investisseurs » et l'article L. 621-1 confie à l'AMF le soin de veiller à « la protection de l'épargne investie » dans les instruments financiers, c'est-à-dire que, juge le Conseil, la répression du manquement d'initié et celle du délit d'initié poursuivent une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement et de l'intégrité des marchés financiers. 

Tertio, les sanctions. L'auteur d'un délit d'initié peut être puni d'une peine de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 500 000 euros et l'auteur d'un manquement d'initié encourt une sanction pécuniaire de 10 millions d'euros. Ainsi, relève le Conseil, si seul le juge pénal peut condamner l'auteur d'un délit d'initié à une peine d'emprisonnement lorsqu'il s'agit d'une personne physique et à une dissolution lorsqu'il s'agit d'une personne morale, les sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions de l'AMF peuvent être d'une très grande sévérité et atteindre jusqu'à plus de six fois celles encourues devant la juridiction pénale en cas de délit d'initié, ce qui fait dire au Conseil que les faits réprimés par les articles litigieux doivent être regardés « comme susceptibles de faire l'objet de sanctions qui ne sont pas de nature différente ».

Et, enfin, quarto, le Conseil a relevé que lorsque l'auteur d'un manquement d'initié n'est pas une personne ou entité mentionnée au paragraphe II de l'article L. 621-9 du CMF, la sanction encourue et celle qu'encourt l'auteur d'un délit d'initié relèvent, toutes deux, des juridictions de l'ordre judiciaire.

C'est ce quadruple examen des dispositions litigieuses qu'amène le Conseil constitutionnel à considérer que les sanctions du délit d'initié et du manquement d'initié « ne peuvent être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction » et qu'elles sont donc contraires à la Constitution. Leur abrogation est toutefois reporté au 1er septembre 2016 car, estime le Conseil, « leur abrogation immédiate aurait des conséquences manifestement excessives en empêchant toute poursuite et en mettant fin à celles engagées à l'encontre des personnes ayant commis des faits qualifiés de délit d'initié ou de manquement d'initié »

Mais pour que cesse néanmoins l'inconstitutionnalité constatée dès maintenant, des poursuites ne pourront être engagées ou continuées sur le fondement de l'article L. 621-15 du CMF, à l'encontre d'une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du même code, dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant le juge judiciaire statuant en matière pénale sur le fondement de l'article L. 465-1 du même code ou que celui-ci aura déjà statué de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne. De même, des poursuites ne pourront être engagées ou continuées sur le fondement de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant la commission des sanctions de l'AMF sur le fondement des dispositions contestées de l'article L. 621-15 du même code ou que celle-ci aura déjà statué de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits à l'encontre de la même personne.