Carte judiciaire : Les observations de l’USM

La réforme de la carte judiciaire a fait l'objet d'un rapport dans le cadre des chantiers de la Justice « adaptation du réseau des juridictions ». La Chancellerie n'a cessé d'indiquer qu'aucun site juridictionnel ne serait fermé.

L'USM s'était inquiétée des conclusions du rapport sus-évoqué, qui visait à la création de 6 modèles de juridictions (Cour d'Appel régionales ou territoriales, tribunaux judiciaires départementaux ou non, tribunaux de proximité traitant ou non du contentieux pénal). L'USM avait dénoncé l'illisibilité et l'incohérence des propositions, tendant à une plus grande mutualisation des moyens. Seuls 3 niveaux de juridictions doivent être maintenus, avec pour chacun des compétences identiques établies selon des critères clairs et prédéfinis.

Pour l'USM, les juridictions doivent conserver une autonomie, tant sur le plan budgétaire que sur le plan du fonctionnement. Les personnels et magistrats doivent être affectés dans la juridiction où ils sont amenés à exercer leurs fonctions et ne pas être « volants » au sein d'un département ou d'une région.

Il serait inacceptable de créer une hiérarchie entre juridictions, entre celles qui animeraient et coordonneraient, et les autres qui ne feraient que décliner les décisions prises par les premières. Un tel système « féodal » entre « juridictions suzeraines et juridictions vassales » est manifestement incompatible avec une meilleure lisibilité et une plus grande cohérence.

Le projet de loi présenté au Parlement reste inquiétant.

En réalité, bien que les dénominations « tribunal judiciaire » et « tribunal de proximité », un temps évoquées, soient abandonnées, le cœur du projet reste le même. De nombreuses évolutions que nous dénoncions, si elles sont en apparence en retrait dans le projet de loi, resteront possibles par décret, en catimini.

Une telle réforme ne peut être présentée comme voulant être au plus près des citoyens. Ils risquent d'être condamnés à « chercher » le juge compétent, selon les territoires et selon les périodes.

I. La suppression de l'instance

Ce projet signe non seulement la suppression du TI en tant que juridiction autonome, mais bien, aussi, la suppression de la fonction de juge d'instance en elle-même.

A- Suppression du tribunal d'instance en tant que juridiction

Les dispositions législatives du code de l'organisation judiciaire relatives au tribunal d'instance sont purement et simplement abrogées, de même que toute référence à cette juridiction. Le projet de loi prévoit ainsi que le tribunal d'instance est supprimé. Le contentieux est intégré au TGI lorsque le TI est situé au siège de celui-ci. Lorsque le TI n'est pas actuellement situé au siège du TGI, un site juridictionnel est maintenu par le biais d'une chambre détachée du TGI, dénommée « tribunal d'instance ».

Les compétences de cette chambre détachée seront fixées par décret. Les présidents et procureurs pourront par ailleurs lui attribuer des compétences supplémentaires. Ces compétences seront donc à géométrie variable dans l’espace et dans le temps. Le Ministère de la Justice a décidément une vision bien particulière de la notion de lisibilité et de cohérence de la carte judiciaire pour les citoyens.

L'USM défend une vraie justice de proximité, qui implique le maintien des tribunaux d'instance comme juridiction autonome. En effet, le tribunal d'instance est bien ancré dans le territoire français et constitue une véritable justice de proximité avec un savoir-faire et une expérience des juges d'instance et des personnels des greffe qui doivent être préservés. Les citoyens sont attachés à cette justice de proximité qui traite des contentieux concernant souvent les plus faibles (mesures de protection, surendettement, crédits à la consommation, baux, litiges du quotidien....).

Cette organisation duale correspond à un besoin des citoyens. Les magistrats et les fonctionnaires des tribunaux d'instance ont acquis un véritable savoir-faire et une culture particulière au service d'une justice proche du justiciable.

Malgré la pénurie des effectifs et le renforcement de leur charge, les tribunaux d'instance sont les juridictions  qui fonctionnent le mieux. Ainsi, les délais de traitement y sont de 5,4 mois alors qu'ils sont de près de 14 mois pour les TGI et les cours d'appel. Les tribunaux d'instance sont les seuls qui parviennent à diminuer le stock de leurs affaires en cours (selon les documents budgétaires).

Cette réforme tend en réalité à favoriser une seule chose : la mutualisation des ressources humaines des tribunaux d’instance et des TGI, pour tenter de gérer la pénurie d’effectifs. Le projet va plus loin en supprimant la fonction statutaire de juge en charge du tribunal d'instance.

B- L'opposition totale de l'USM à la suppression de la fonction statutaire de juge d'instance

Actuellement, la fonction de juge d'instance est prévue par l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, qui fixe également les conséquences de ce statut (prime fonctionnelle, interdiction d'exercer la fonction plus de 10 ans....). Alors que la ministre insiste sur la nécessité de spécialiser les magistrats pour améliorer la qualité de la justice, le projet supprime la fonction statutaire de juge d’instance.

◦ le projet

Au sein du TGI, un ou plusieurs juges exerceront les fonctions de juge des tutelles des majeurs. Les compétences en matière de surendettement, de rétablissement personnel et de saisie des rémunérations notamment, seront confiées au juge de l'exécution. Par ailleurs un tribunal de grande instance unique sera chargé au niveau national du traitement des injonctions de payer, qui seront dématérialisées. Les autres compétences du juge d'instance relevant de la partie réglementaire du code de l'organisation judiciaire, elles seront confiées ultérieurement au TGI par décret.

L'USM est totalement opposée à ce projet qui, dans une logique de gestion de la pénurie, aboutit au démantèlement de la justice de proximité par excellence et à la fin de la fonction spécialisée de juge d’instance, au détriment de la qualité, de la lisibilité et de l'efficacité de la Justice.

Les magistrats et les fonctionnaires des tribunaux d'instance ont acquis un véritable savoir-faire et une culture particulière au service de la protection d'un public souvent vulnérable. Ce sont plus de 800 magistrats dont la fonction va disparaître et qui exerceront donc leurs fonctions au sein de vastes services qui différeront d'un TGI à l'autre, ou dans les « chambres dénommées tribunal d’instance », dont les attributions seront-elles aussi à dimension variable.

◦ compétence et formation : gages de qualité de la justice

Cette fusion se fera nécessairement au détriment des citoyens les plus vulnérables et sera préjudiciable à la compétence technique des juges chargés de ces contentieux.

En effet, la formation des magistrats non spécialisés du TGI sera extrêmement variée. Même avec la meilleure volonté de la part de l'ENM, elle ne permettra pas de consacrer le temps nécessaire à la maîtrise des arcanes du crédit à la consommation, du surendettement, des baux d’habitation ou des subtilités de la protection des majeurs. La formation initiale comme la formation en cas de changement de fonction se déroulent selon des calendriers extrêmement contraints qui ne permettront pas une formation efficace sur tous les contentieux dévolus aux futurs juges non spécialisés. Le stage de préparation aux premières fonctions, que réalisent les auditeurs de justice après avoir choisi leur premier poste, doit servir à l'approfondissement des apprentissages. Il sera impossible d'atteindre cet objectif s'il porte sur un ensemble de contentieux aussi vaste que ceux de l'instance et de la grande instance.

De plus, l'ensemble des magistrats non spécialisés actuellement en fonction qui seront amenés à connaître du contentieux de l'instance n'auront pas été formés à cette fin. N'étant heureusement pas soumis à la règle des dix ans, ils n'ont aucune obligation de changer de fonction et de se former en conséquence à ce nouveau contentieux.

Le refus de maintenir une fonction statutaire spécialisée, qui contredit le discours officiel sur la nécessité d’une spécialisation accrue et de l’organisation en services et en pôles, remplit en réalité un seul et unique objectif : plus de flexibilité grâce à la mutualisation des effectifs (magistrats et personnels de greffe). Elle entraînerait également une perte de motivation de plus de 800 juges d'instance qui trouvent, eux, un réel intérêt à l'exercice de leur fonction et souhaitent très souvent continuer à l'exercer.

Les juges d’instance font actuellement le choix d’exercer une fonction technique, variée, dédiée au service d’un certain public. Ils sont fortement investis dans leurs fonctions et revendiquent à raison leur spécificité. Les contentieux traités à l’instance ne sont pas forcément attractifs pour ceux qui choisissent actuellement d’être magistrats généralistes au TGI. Or, l'appétence et la compétence sont des gages essentiels pour une justice de qualité.

La pratique des « fiches de poste », qui consiste à décrire lors des appels à candidature ou pendant les périodes de desiderata, le contenu d'un poste, ne permettrait absolument pas de s'assurer que des magistrats attirés par les contentieux actuels des tribunaux d'instance puissent effectivement s'y consacrer. En effet, il est impossible pour les présidents de garantir le contenu d'une fiche de poste, pour un poste occupé parfois près de 9 mois après la diffusion de la fiche. Les évolutions sont quasiment inéluctables, en dehors de postes très spécifiques.

De même, on ne peut considérer que le juge d'instance pourrait être maintenu non pas dans l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, mais dans le code de l'organisation judiciaire (COJ). Le COJ prévoit par exemple le juge aux affaires familiales. Aligner le statut du juge d'instance sur celui du juge aux affaires familiales ne résoudrait absolument pas lesproblèmes de formation et de « fiches de postes » sus-évoqués.

Une autre organisation est possible pour préserver la spécialisation des juges d'instance et résoudre ces difficultés.

◦ créer un service qui préserve la cohérence de traitement des contentieux de l'instance

La diversité des contentieux traités par les juges d'instance n'est qu'apparente. Ils sont connexes à la fois sur les plans techniques et humains.

Par exemple, le surendettement, les expulsions et les crédits à la consommation sont étroitement liés. Au contraire, le contentieux des séparations conjugales ou de la filiation et celui de la protection des majeurs n’ont rien à voir entre eux, ni sur la procédure, ni sur le fond. Autre exemple, les injonctions de payer représentent un contentieux de masse technique et répétitif, dont le traitement doit s’intégrer dans un service diversifié permettant d’en répartir la charge entre plusieurs magistrats spécialisés qui pourront ensuite traiter les oppositions aux ordonnances rendues. Les juges d'instance, spécialisés dans le traitement des crédits à la consommation, maîtrisent parfaitement ce contentieux.

Il est cohérent de faire traiter par un même juge ces matières techniques, qui touchent quotidiennement un grand nombre de justiciables : baux d'habitation, crédits à la consommation, protection des majeurs... Ces contentieux impliquent la mise en œuvre de dispositions relevant de l'ordre public de protection. À ce titre, le juge doit par exemple vérifier la dette locative ou soulever certains moyens d'office en matière de protection du consommateur. À défaut, la CJUE a jugé que la responsabilité de l'État est susceptible d'être engagée.

La suppression des juges d'instance, spécialement formés, entraînerait en quelques années une perte de compétences importante pour tous ces litiges du quotidien et une dégradation des conditions de leur traitement, avec le risque d'entraîner des condamnations de l'État. Quant à la suppression des tribunaux d’instance, elle n’implique nullement la disparition de la fonction spécialisée de juge d’instance.

Un service spécialisé, comprenant des magistrats nommés en tant que juges d'instance, pourrait être créé au sein des TGI, pour l’exercice des fonctions de juge d’instance. Ce service serait dédié à la protection des personnes vulnérables ou en risque de le devenir, socialement ou économiquement. Il comprendrait notamment les mesures de protection des majeurs, le surendettement, les injonctions de payer, le contentieux des crédits à la consommation et des baux d’habitation.

Cette organisation, calquée sur celle du service des juges des enfants ou des juges de l'application des peines, n’empêcherait en rien la participation, comme actuellement, des juges d’instance au contentieux général du TGI, qu’ils soient localisés sur le même site ou dans un site extérieur. Elle n'aboutirait donc à aucune « rigidification » de l'organisation des TGI, qui est un faux débat. Elle permettrait également de maintenir des juges spécialisés coordonnateurs, très utiles dans des matières aussi techniques et soumises à des réformes régulières que les tutelles des majeurs ou les crédits à la consommation.

L'USM est donc totalement opposée à ce projet qui, dans une logique de gestion de la pénurie, aboutit à la suppression de la justice de proximité par excellence et la fin de la fonction spécialisée de juge d’instance, au détriment de la qualité, de la lisibilité et de l'efficacité de la Justice.

II. Des TGI et des sous-TGI, aux compétences variables

L’USM s’est opposée fermement à la création de tribunaux départementaux qui auraient permis aux chefs de juridictions de déléguer les magistrats et personnels sur d’autres sites judiciaires du département et ainsi contraint ces derniers à de fréquents déplacements, coûteux et chronophages. Il semblerait que cet aspect de la réforme soit abandonné et que chacun soit nommé sur le site où il exercera.

A- le TGI départemental et les autres

Le projet de loi prévoit que des TGI puissent être spécialement désignés par décret pour juger, pour l'ensemble du département, de certaines matières civiles et de certains délits (jugés en collégialité) ou contraventions.

Sans changer de nom, certains TGI risquent d'être vidés de leur substance. Il en serait ainsi d'un tribunal qui ne statuerait plus ni sur certains contentieux civils ni en matière correctionnelle collégiale. Cet aspect de la réforme se concrétisera dans les mois à venir, par décret.

Dès le début du mois de février, l'USM dénonçait la création de sous-juridictions, dont les compétences seraient limitées. L'USM est hostile à une répartition illisible des contentieux. Les justiciables doivent pouvoir connaître facilement la juridiction dont relève leur affaire.

L’USM n'est pas opposée à toute réforme de la carte judiciaire, mais celle-ci doit être claire. Si certaines juridictions doivent être fermées, qu'elles le soient. D'autres doivent pouvoir être ouvertes. La taille des juridictions doit leur permettre d’être efficientes et adaptées aux besoins du territoire sur lequel elles sont implantées. Pour définir l’emplacement et la taille optimale de chaque juridiction, le critère d’efficience doit être conjugué à des critères géographiques, économiques et démographiques.

Par ailleurs, il est prévu que chaque département comprenne au moins un juge de l'application des peines. Il n'y aura donc plus nécessairement de juge de l'application des peines dans chaque TGI. Cette proposition, inacceptable, revient à éloigner nombre de probationnaires, souvent en situation de précarité, du juge chargé de leur suivi. Ce projet est contradictoire avec la volonté affichée de lutter contre la récidive.

De même, un décret fixera la liste des TGI dans lesquels il n'y aura plus de juge d’instruction et précisera le TGI compétent sur le ressort de ceux qui n'auront plus de juge d'instruction. L'USM est favorable à ce qu'un juge d'instruction ne puisse exercer seul dans un TGI. Elle s'inquiète cependant de la suppression de postes de juges d'instruction qui n'exerçaient ces fonctions qu'à temps partiel, le surplus étant alors perdu pour le service général du TGI.

B- des chefs de juridictions aux compétences limitées

Le projet de loi prévoit que lorsqu'un département compte plusieurs TGI, le procureur général puisse désigner l'un des procureurs pour représenter l'ensemble des parquets dans le cadre de leurs relations avec les autorités administratives du département. L'USM est défavorable à ces dispositions qui, en réalité, renforcent considérablement la hiérarchie du parquet.

En effet, cette désignation pourra être modifiée au gré des choix des procureurs généraux qui se succéderont et selon que l'action d'un procureur leur plaira ou non. Si l'on peut concevoir que l'un des procureurs du ressort puisse représenter l'ensemble des autres procureurs du même ressort, il doit assurer cette fonction en concertation avec l'ensemble des procureurs, dont il serait alors le « porte-parole ». Les procureurs doivent pouvoir se concerter pour une meilleure harmonisation des politiques pénales sans hiérarchie entre eux.

III. Les cours d'appel : une réforme en retrait apparent

La chancellerie prévoit une expérimentation pour une durée de 3 ans dans deux régions de la réforme de la carte des cours d'appel.

A- le « déclassement » de certaines cours d'appel

Le projet de loi prévoit que certains premiers présidents et procureurs généraux assureront des fonctions d'animation et de coordination sur un ressort pouvant s'étendre à celui de plusieurs cours d'appel situées au sein d'une même région.

Ainsi, co-existeront des chefs de cours d'appel et des sous-chefs de cours d'appel, aux compétences plus limitées. L'USM conteste cette réforme qui vise à masquer la suppression de juridictions autonomes, dans une logique purement gestionnaire.

B- une nouvelle répartition des contentieux

Des cours d'appel pourront être spécialement désignées par décret pour connaître, dans le ressort d'une même région, de certaines matières civiles. Ainsi, une cour d'appel territoriale pourrait ne pas disposer d'une chambre sociale mais disposerait d'une chambre commerciale, qui n'existerait pas dans la cour d'appel voisine.

L'USM, dès l'origine, dénonçait le projet visant à ce que certains contentieux dits « spécialisés », soient répartis différemment entre cours d'une même région. L'USM continue de contester cette disposition, qui tend avant tout à habiller l'absence de fermeture de sites.

Une telle organisation contrevient aux objectifs de proximité, lisibilité et cohérence affichés par la réforme. Il serait tout à fait incohérent et contre-productif de retirer certains contentieux dits spécialisés à des cours au prétendu motif d'une meilleure qualité : aucune étude ne démontre que certaines cours qui atteignent une taille efficiente, seraient dans l'incapacité de traiter qualitativement les contentieux spécialisés tels que définis par le rapport.

L'USM déplore que le projet de réforme ne fasse pas prévaloir deux impératifs, combinés avec les données géographiques, économiques et démographiques :

  • la cohérence entre la carte judiciaire et la carte administrative,
  • le critère de la taille efficiente de juridiction.

La Chancellerie n'est pas parvenue à mettre en œuvre une cohérence entre la carte judiciaire et la carte administrative. Le souci de cohérence entre la carte judiciaire et la carte administrative qui gouverne les administrations partenaires devrait conduire à envisager le rattachement des départements qui dépendent d'une cour d'appel située hors de leur région administrative à la cour située dans le ressort de cette région.

L'USM considère qu'il doit y avoir au moins une cour d'appel par région administrative et que plusieurs cours d'appel peuvent coexister au sein d'une même région.