Le notaire doit vérifier que le vendeur n’est pas en liquidation judiciaire

En juin 2002, Alain Bodar et son épouse achètent un petit appartement avec vue sur mer, à Arcachon (Gironde), au prix de 163 00 euros, afin d’y couler une paisible retraite. En 2015, ils doivent rendre les clés, menacés de saisie, du fait que la justice les considère comme des « occupants sans titre ». Que s’est-il passé?

En mars 1996, leur vendeur, André G., agent commercial dans la Somme, a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire. Il n’avait pas le droit de disposer de ses biens sans l’accord du mandataire de justice. Néanmoins, en 1997, devant le notaire, Me Alain Duron, de la SCP Ducourau Duron Labache Pourquet MoreauLespinard, il fait une donation à son fils Alexandre, alors âgé de 14 ans, qui devient nu-propriétaire de l’appartement. Cinq ans plus tard, devant le même notaire, son fils et lui vendent l’appartement aux époux Bodar, qui ne savent rien du statut de M. G. À chaque fois, celui-ci affirme qu’il n’est pas en état de cessation de paiement et qu’il jouit de la plénitude de ses droits.

En juin 2009, la Selas Soinne, qui intervient comme liquidateur judiciaire de l’agent commercial, assigne les époux Bodar devant le tribunal de grande instance d’Amiens (Somme). Elle demande qu’il déclare inopposables à la procédure collective les actes reçus par Me Duron. Elle obtient gain de cause en première instance puis en appel. Elle obtient le départ des époux Bodar, qui ne sont aucunement indemnisés. Elle vend aux enchères leur ancien appartement pour la somme de 300 000 euros – alors que sa valeur, compte tenu des travaux que le couple y a effectués, est estimée par un expert à 430 000 euros.

Les époux Bodar assignent le fils du vendeur, qui sera mis hors de cause, en raison de son jeune âge à l’époque, ainsi que du fait qu’il a renoncé à la succession de son père, après la mort de celui-ci. Ils attaquent aussi le notaire, afin de voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1382 (ancien ) du code civil et d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices.

Suspicion suffisante

Ils estiment qu’il aurait dû vérifier les dires de l’agent immobilier : il a manqué à son obligation d’assurer l’efficacité et la sécurité juridique de ses actes, en ne s’assurant pas que ce vendeur ne faisait pas l’objet d’une procédure collective. Ils soulignent qu’il aurait pu facilement accéder à ces renseignements par une simple consultation du Registre du Commerce et des Sociétés du Tribunal de Commerce d’Amiens, du BODACC et/ou du registre spécial des agents commerciaux.

Or, comme le rappelle Me Duron, la Cour de cassation n’a mis à la charge du notaire une obligation de vérification systématique de l’absence de procédure collective concernant le vendeur qu’à compter de l’informatisation du Bodacc et de l’ouverture du site internet bodacc.fr, qu’à partir de juin 2009. La vente litigieuse étant intervenue le 17 juin 2002, le tribunal de grande instance de Bordeaux juge qu’il lui appartient de déterminer s’il existait à cette date des éléments de nature à entraîner une suspicion suffisante quant à l’existence d’une procédure collective dont faisait l’objet l’agent commercial.

Sa réponse est positive : d’une part la profession d’agent commercial est une « activité à risques ». D’autre part, André G. avait « des problèmes financiers importants » puisque, en 2000, étaient publiés au titre des formalités concernant son immeuble un commandement valant saisie au profit du Syndicat des copropriétaires de la Résidence Aigue Marine en raison de charges de copropriété impayées, une sommation, une inscription d’hypothèque légale du Trésor public et une inscription d’hypothèque judiciaire.

Enfin, il est « inhabituel » qu’un père âgé de seulement 43 ans fasse une donation à son fils, les donations étant généralement destinées à éviter les conséquences fiscales d’une transmission du patrimoine « après la mort ». Il s’agissait donc pour lui d’obtenir que son patrimoine « échappe à l’emprise de tiers poursuivants ».

Le tribunal juge donc que le notaire aurait dû vérifier les déclarations du vendeur. Il le condamne à leur payer 444 000 euros, le 23 mai. La SCP Ducourau Duron Labache Pourquet Moreau Lespinard indique qu’elle ne va pas faire appel. Elle a déjà été condamnée, en avril 2016, à payer 100 000 euros à un agent immobilier, auquel elle avait laissé vendre en décembre 2012 un immeuble dont le gérant avait été placé en redressement judiciaire au mois de février.