Lettre d'un député à Michel-Edouard Leclerc
Vous m’accusez, ainsi que mes collègues députés LaREM, d’avoir été manipulé par les lobbies de l’agriculture, de l’industrie agroalimentaire, de la grande distribution, etc. Une telle accusation témoigne d’une méconnaissance totale de ces métiers mais aussi d’une profonde mauvaise foi.
Au contraire de ce que vous alléguez, cette loi n’est pas le fruit de je ne sais quel cartel officieux fantasmé, mais bien celui d’un travail collectif commencé en juillet 2017 avec les Etats Généraux de l’Agriculture et de l’Alimentation (EGA). Vous le savez parce que vous y avez-vous-même participé : vous avez signé la charte des EGA !
Vous affirmez donc que nous, députés, avons été manipulés pour inscrire le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte (SRP) dans la loi.
Peut-être avez-vous oublié que cette mesure est le fruit d’un consensus entre tous les acteurs de la chaine agroalimentaire rassemblés dans l’atelier n° 7 des EGA ? Cet atelier même qui était présidé non par ce que vous appelez « une sorte d’alliance contre-nature réunissant la FNSEA, les industriels de l’agroalimentaire et les distributeurs » mais par Guy Canivet ancien premier président de la Cour de cassation et ancien membre du Conseil constitutionnel.
Peut-être avez-vous simplement trop bien compris l’intérêt de cette mesure ? L’objectif du relèvement de 10 % du SRP n’est pas d’augmenter les marges des industriels. Non, Monsieur Leclerc, son objectif c’est d’améliorer le revenu des agriculteurs pour nous permettre de vivre dignement de notre métier.
Aujourd’hui, les enseignes de la grande distribution, comme E. Leclerc réalisent des promotions énormes sur les prix des produits populaires de grande marque (comme le Nutella). Vous les vendez presque à perte car vous savez très bien que ces produits sont les plus achetés par les consommateurs. Pour compenser votre manque à gagner, vous vous rattrapez en dégageant de grandes marges sur les prix des fruits, des légumes et des autres produits agricoles : vous les achetez à très bas prix aux agriculteurs et les revendez à un prix élevé aux consommateurs.
Cette guerre des prix vers le bas, vous la menez volontairement pour dégager du profit sur le dos des agriculteurs et des consommateurs. Vos concurrents ont bien compris que cette stratégie est mortifère et sont prêts à avancer.
C’est sur la marge que les enseignes de la grande distribution engrangent sur la vente des produits alimentaires que le travail est à faire et le juste partage de la valeur à réaliser.
Concrètement, avec le relèvement de 10 % du SRP, les magasins E. Leclerc seront obligés de fixer le prix des produits alimentaires au moins 10 % au-dessus de leur prix d’achat aux agriculteurs. La conséquence est que vous allez sans doute devoir un peu augmenter le prix des produits de grande marque pour reverser ces 10 % de marge supplémentaire aux agriculteurs qui travaillent d’arrache-pied jours et nuits pour cultiver les produits que vous placez dans vos rayons.
C’est donc avec votre bonne volonté et celle des autres enseignes de la grande distribution que nous parviendrons à améliorer le revenu des agriculteurs. C’est à vous d’utiliser les outils que nous avons construits ensemble lors des EGA pour rémunérer notre travail à sa juste valeur.
Cela vous demande certainement plus d’efforts que vous évertuer à faire croire que cette loi est celle des lobbies dans les médias et reconnaitre votre responsabilité dans la souffrance des paysans.
L’agriculture française est malade de la guerre des prix que vous avez instaurée : le prix le plus bas n’a jamais été le prix le plus juste, ni pour les producteurs, ni pour les consommateurs. Cette idée que vous injectez dans la tête des Français à grand renfort de campagnes publicitaires est hypocrite et vous le savez.
L’encadrement des promotions, le renforcement du rôle de l’Autorité de la concurrence et du médiateur des négociations commerciales viendront compléter notre arsenal législatif. Nul doute que la menace du « name and shame » vous fait peur : le médiateur pourra désormais rapporter aux consommateurs vos comportements abusifs à l’égard des agriculteurs. Cela vous contraint désormais à être irréprochable.
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Jean-Baptiste Moreau est député de la Creuse.