Lettre ouverte d’anciens bâtonniers du barreau de Paris sur la candidature au dauphinat du vice-bâtonnier en exercice

L’esprit et la lettre
ou
La triple faute du vice-bâtonnier candidat

 

Dans le Bulletin n° 5 (18 mars 2015), le bâtonnier en exercice écrit simplement « Au regard des textes en vigueur, cette candidature (de son vice-bâtonnier) est recevable ». Sans doute…

Or, qui l’ignorerait, même en dehors du Palais, chez les avocats, la conduite, le comportement honorable, le respect que l’on marque et que l’on inspire, ne sont pas régis par les seuls textes, les lois, les décrets, les règlements.

Il y a des principes supérieurs qui font que — n’en déplaise à certains — les avocats exercent, dans l’intérêt des tiers, leurs clients, et au sein de la société, une profession qui n’a pas d’équivalent en termes de rigueur et de responsabilité morale.

C’est du moins dans cet état d’esprit que, jusqu’à présent, la profession a été considérée en France et notamment à Paris, dont le Barreau s’enorgueillit, à juste titre, de plusieurs siècles d’exemplarité.

La candidature du vice-bâtonnier en exercice vient briser cet édifice patiemment construit au travers de grands moments historiques, malgré les faux-pas inévitables, mais avec un résultat qui force l’admiration en France et à l’étranger.

Non pas que les règles écrites et non-écrites ne puissent évoluer, bien au contraire. Et deux évolutions ont justement été mises en œuvre par le Conseil national des barreaux dont les décisions votées, surtout lorsqu’elles ont donné lieu à un texte repris dans le décret du 26 décembre 2014, s’imposent à tous les barreaux de France, y compris au plus grand d’entre eux :

- la suppression de l’élection de confirmation du dauphin était devenue une nécessité, depuis que l’élection de ce dernier était acquise à la majorité absolue entre les deux seuls candidats au deuxième tour de scrutin. Et les candidatures « sauvages » observées à cette élection de confirmation, en contravention avec une des règles non-écrites mentionnées plus haut, rendaient cette pratique à la fois incompréhensible et contraire au principe démocratique du respect de la majorité absolue obtenue à la première élection.

- Autre réforme récente, rendue possible par le vote du CNB, la durée du dauphinat. Alors que l’ordre de Paris (sous l’impulsion de son vice-bâtonnier ?) voulait carrément supprimer le dauphinat -et l’on comprend pourquoi- voire le réduire à quelques semaines avant la prise de fonctions du nouveau bâtonnier, le Conseil national des barreaux a décidé de laisser aux barreaux le choix de la durée du dauphinat, à condition qu’elle ne soit pas inférieure à six mois, comme le confirme le décret de 2014.

Telles sont les règles écrites nouvelles… au regard desquelles la candidature serait recevable.

Mais si l’on revient aux principes dont le respect intangible fait la force du Barreau et l’honneur des avocats qui le composent, la situation est autrement différente et même radicalement contraire. Pour aller à l’essentiel, on relèvera seulement trois obstacles que le vice-bâtonnier candidat ne pouvait pas franchir : 

  • Tout d’abord, modifier les règles d’une compétition électorale au cours du processus électoral

Il s’agit d’une faute majeure que rien ne peut excuser : une fois élus et une fois en exercice, le bâtonnier (qui semble se résigner en cette circonstance, alors qu’on l’aurait cru plus courageux) et le vice-bâtonnier ne peuvent changer les règles de la compétition électorale qui s’ouvre dès après leur propre élection entre les candidats à leur succession.

Toute réforme éventuelle, si elle doit être décidée et votée par le Conseil de l’Ordre, ne peut s’appliquer qu’à une élection ultérieure, afin que les futurs candidats, qui ne manquent jamais, connaissent les nouvelles règles, les respectent et cherchent à recueillir dans un système nouveau les suffrages des électeurs, eux aussi avertis des changements intervenus.
Toute autre interprétation est condamnable.

  • Ensuite, une grave conséquence du non-respect du principe précédent, c’est l’utilisation au profit du seul vice-bâtonnier des règles nouvelles et donc leur utilisation détournée, pour ne pas écrire frauduleuse

Si, en effet, le dauphinat avait été maintenu pour une durée d’un an et que l’élection avait eu lieu - comme c’était normalement prévu - en novembre ou décembre 2014, il eût fallu que le vice-bâtonnier fût candidat dès juin ou septembre 2014, voire un peu plus tôt encore, soit quelques mois seulement après son entrée en fonction : ce n’était pas jouable !

Le raccourcissement de la durée du dauphinat par la fixation de l’élection aux 23 et 25 juin 2015 relève donc d’une stratégie de long terme qui mérite les qualificatifs les plus sévères et discrédite, non seulement le candidat vice-bâtonnier, mais le vice-bâtonnier lui-même, ayant réclamé au CNB ce raccourcissement, après avoir tenté, en vain, d’obtenir la suppression pure et simple du dauphinat.

  • Enfin, la rupture de l’égalité entre les candidats, ce principe démocratique que l’on croyait unanimement observé malgré les inévitables différences de moyens humains ou financiers entre eux, n’est tout simplement pas admissible

L’argument selon lequel, en matière politique, un élu peut être candidat pendant son mandat pour se représenter, à son issue, est irrecevable. Et la comparaison entre le bâtonnier (fût-il de Paris…) et le Président de la République ou le président des Etats-Unis ferait sourire si l’enjeu n’était pas si grave, puisque c’est la crédibilité de l’institution ordinale qui est mise à mal par ce comportement.

La fonction de bâtonnier ne constitue pas la magistrature suprême qu’exercent les hommes politiques cherchant à accéder à la fonction présidentielle et dont la vie tout entière est tournée vers cet objectif : c’est un rôle moral, complété, à Paris notamment, par la responsabilité d’un organisme plus ou moins lourd à gérer. Et le principe en reste celui affirmé par l’expression primus inter pares qui ne qualifie pas un chef, mais un exemple.
L’abandon évoqué par le vice-bâtonnier candidat de sa voiture et du chauffeur et le retrait de la carte de crédit, mais, à ce jour, le maintien du titre et de l’émolument ne changent rien… mais le bâtonnier affirme, pour son vice-bâtonnier, que l’ordre va « lui réserver un sort égal aux autres » !

Dans cette situation, où est l’exemplarité dont le bâtonnier et le vice-bâtonnier doivent faire preuve ? Où est la continuité de l’institution dans le renouvellement des responsables ? Où est la confiance que les électeurs doivent placer chez les élus ?

Alors que le vice-bâtonnier aurait pu être un candidat sérieux à une élection prochaine, sa place est usurpée dans la campagne en cours.

Dans les circonstances présentes, à trois mois de l’élection, on a peine à penser que celui qui fait ainsi litière des grands principes de la profession puisse concourir pour s’en instaurer le gardien.

Quant au bâtonnier en exercice, il déclare, toujours dans le Bulletin du 18 mars,« qu’il mettra toute son énergie et sa conscience à assurer la neutralité absolue[sic] des institutions pendant la période électorale ».

Qu’alors, dans son bureau, il enlève, de toute urgence, la phrase qu’il a fait poser en néon bleu « Appelez le bâtonnier de Paris ! ». Ce rappel historique d’une époque où le bâtonnier du plus grand barreau de France était une figure morale irréprochable, paraît désormais déplacé au palais de justice.

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* Signataires : Jean-René Farthouat (1994-1995), Bernard Vatier (1996-1997), Jean-Marie Burguburu (2004-2005), Christian Charrière-Bournazel (2008-2009), anciens bâtonniers du Barreau de Paris.