#MeToo : « C’est en protégeant les droits des “cochons” que l’on préservera la liberté des femmes de les accuser »

« Personne de l’année 2017 » pour le Time, #MeToo a connu un succès fulgurant, en incitant les victimes de violences sexuelles ou sexistes à les dénoncer sur les réseaux sociaux. De la retentissante affaire « Weinstein » au report du Nobel de littérature, cette démarche très vite devenue virale a prouvé toute son efficacité. Briser la loi du silence ! Voilà ce à quoi le mouvement féministe est parvenu en faisant en sorte, comme le veut son slogan, « que la peur change de camp ».

Rien qu’en France, où il s’est développé sous ses déclinaisons #BalanceTonPorc et #MoiAussi, le mouvement rassemble plus d’un million de membres et autant de récits. L’Observatoire National de la Délinquance lui attribue pas moins de 37 % d’augmentation des plaintes déposées en 2017 pour agressions sexuelles.

Reflet d’une parole réellement libérée, ces chiffres et l’effet bombe des affaires révélées occultent toutefois les dangers auxquels #MeToo expose tant les « porcs » balancés que les victimes qui les accusent.

Sur les hashtags, on lit des histoires d’agressions en tout genre, qui vont de la grossière interpellation de rue à des cas de viols sordides. Des récits choquants, mais qui ne conservent pas toujours l’anonymat et où le conditionnel est rarement employé.

« Balancer un porc » peut donc donner aux réseaux sociaux des allures de jurys populaires, jugeant sans chercher à comprendre et qui condamnent de façon systématique car, à la dénonciation des actes relatés, parfois de façon équivoque, s’ajoute toujours la série de commentaires qui lapident l’accusé et lui souhaitent le retour de la guillotine, des supplices corporels et de toutes sortes de peines bannies des démocraties.

Dans ces vindictes 2.0, on oublie que, même condamné dans le monde virtuel, un « porc » reste, dans la vie réelle, un citoyen présumé innocent et titulaire de droits dont la violation est sévèrement sanctionnée.

Cet oubli risque de coûter cher et de donner un coup d’arrêt à l’élan de libération initié par #MeToo.

Prévisible au regard des préjudices causés, l’indemnisation des personnes balancées à tort jouera les épouvantails en dissuadant les femmes qui ont toutes les bonnes raisons de le faire, de parler. Le jour où des « balances » seront condamnées pour avoir maladroitement ou mal intentionnellement accusé quelqu’un, les peines prononcées auront un effet dissuasif certain et les victimes d’abus sexuels pourraient hélas à nouveau préférer se taire.

C’est du moins ce qu’il faut craindre du retour de manivelle annoncé dans des affaires en cours.

Sous la pression d’accusations finalement démenties, Benny Fredriksson a démissionné de son poste de directeur du Théâtre de Stockholm avant de se suicider le 17 mars 2018. Accusé par son ancienne attachée parlementaire, le député Christophe Arend a été pris dans la tourmente d’une enquête qui s’est soldée par un classement sans suite. Le 16 mai dernier, le Parquet de Paris a annoncé qu’il avait une nouvelle fois classé sans suite l’enquête visant le Ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin. Récemment, ce sont les analyses toxicologiques ordonnées dans l’enquête visant Luc Besson qui sont venues contredire la version de celle qui l’accuse de l’avoir droguée puis violée.

Ces retournements de situation ouvrent la voie à des actions en diffamation publique d’ores et déjà annoncées, et dont les succès risquent d’inciter les victimes à ne plus rien dénoncer par peur d’être punies. Après avoir mis longtemps à se libérer, la parole des femmes pourrait donc paradoxalement souffrir d’avoir été parfois trop débridée et souvent mal relayée.

Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand écrit que « le péril s’évanouit quand on ose le regarder ». Et effectivement, oser le voir permet ici de discerner le moyen de sécuriser un mode d’expression utile mais pas sans risque.

L’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Tel est bien ce que la loi doit garantir sur #MeToo par un dispositif adapté aux nouvelles technologies et à la démarche initiée par ce mouvement. Pour mettre les victimes d’agressions sexuelles à l’abri du risque d’être un jour accusées à leur tour, il faut s’assurer qu’elles puissent continuer à « balancer des porcs » sans les injurier, les diffamer ou les calomnier.

Oui ! C’est en protégeant les droits des « cochons » que l’on préservera la liberté des femmes de les accuser. Loin d’être la morale d’une fable, fixer un cadre à la parole des dénonciatrices reste le meilleur moyen de la garantir.

Comme pour les fake-news, le cyber-harcèlement ou les dérives de la fachosphère, les démocraties doivent donc adapter leurs législations aux médias sociaux et à ce mode de dénonciation encore trop « hors-sol ». Sinon, il y a fort à parier que la peur finira par changer à nouveau de camp. Femme ou homme, nul doute qu’elle retournerait alors du mauvais côté… les vrais « porcs » mis à part !

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Farid Belacel est chargé d’enseignement à l’Université de Perpignan-Via-Domitia et lauréat du Prix Guy Carcassonne 2018.