Observations de l'USM sur le projet de loi de lutte contre les violences sexuelles et sexistes

Article 1

Ce texte entend allonger la prescription de l’action publique en prévoyant : « l’action publique des crimes mentionnés à l’article 706-47 du code de procédure pénale, et à l’article 222-10 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs se prescrit par 30 années révolues, à compter de la majorité de ces derniers ».

L’USM a déjà eu l’occasion de relever que cette disposition, envisagée puis écartée par le législateur en 2017, ne renforcera pas la lutte contre les violences sexuelles, en raison de la grande difficulté de prouver des faits commis plusieurs décennies avant le début de l’enquête.

Une durée excessive du délai de prescription augmente ainsi le risque de dépérissement des preuves et altère considérablement la fiabilité des témoignages. Cette situation est par suite de nature à faire naître chez les victimes de faux espoirs aggravant encore leur détresse et à faire injustement peser sur l'institution judiciaire la responsabilité d'un insupportable revers après une procédure éprouvante.

Rappelons en effet que la personne poursuivie bénéficiera en tout état de cause de la présomption d’innocence et ne pourra être condamnée que si sa responsabilité pénale est prouvée et que le doute lui profitera nécessairement.

Article 2

Cet article est composé de trois paragraphes.

Le premier traite des éléments constitutifs des infractions de viols et agressions sexuelles, le second des atteintes sexuelles, le troisième de la procédure d’assises.

I - « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ».

Ainsi, le projet renonce à instituer une présomption de non consentement à un acte sexuel, fondé sur l’âge du mineur qui fut, un temps, envisagée.

En définitive, le projet du gouvernement maintient intégralement les éléments constitutifs du crime de viol et du délit d’agression sexuelle et se limite à illustrer la notion de contrainte morale qui peut être caractérisée par « l’abus d’ignorance de la victime ne disposant pas de maturité ».

Il est vrai que le groupe de travail sur les infractions sexuelles à l’encontre des mineurs formé à l’initiative de la commission des lois du Sénat souligne combien la proposition d’instituer une présomption de « non-consentement » des mineurs en fonction d’un seuil d’âge pose davantage de questions qu’elle n’en résout.

De même, le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de texte indique pourquoi le crime de viol et le délit d’agression sexuelle ne sauraient être considérés comme des infractions « objectives » qui seraient caractérisées par le seul fait de relations sexuelles entre un majeur et un mineur en deçà d’un certain âge.

En l’état du projet de loi, l’USM note que ce texte ne modifie en rien les éléments constitutifs des infractions en cause (un acte sexuel commis sur autrui par contrainte violence menace ou surprise) ; ainsi par exemple par un arrêt (Crim. n° 91-85847) du 11 juin 1992 , la Cour de cassation a qualifié de viols sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité des actes de pénétration sexuelle commis par un père qui pour parvenir à ses fins a « profité du manque de discernement » de son fils âgé de 13 ans.

II - « L’infraction définie à l’article 227-25 est également punie de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende lorsque le majeur commet un acte de pénétration sexuelle sur la personne du mineur de 15 ans ».

Ainsi le délit d’atteinte sexuelle serait aggravé en cas de pénétration sexuelle. L’USM tient à souligner que le même acte commis par un mineur âgé de 17 ans et 11 mois ne serait constitutif d’aucune infraction alors qu’il constituerait, s’il était commis le mois suivant, un délit puni de 10 ans d’emprisonnement, soit la peine correctionnelle maximale.

Il sera difficile de faire comprendre qu’une relation débutée peu avant 18 ans constitue un délit puni de la peine correctionnelle maximale, une fois la majorité de l’auteur acquise.

III - Ce texte complète l’article 351 du code de procédure pénale afin que soit obligatoirement posée la question subsidiaire sur l’atteinte sexuelle, lorsqu’un accusé majeur poursuivi devant la cour d’assises pour un viol commis sur un mineur de 15 ans conteste la circonstance de contrainte, violence menace ou surprise.

L’USM est favorable à cette disposition.

Article 3

Ce texte complète les définitions du délit de harcèlement moral et du harcèlement sexuel en indiquant que l’infraction sera également constituée lorsque les propos ou comportements seront adressés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes alors même que chaque personne n’a pas agi de façon répétée.

Ce texte n’appelle pas d’observation de la part de l’USM.

Article 4

Ce texte entend créer la contravention d’« outrage sexiste » consistant dans le fait d’imposer à une personne un propos ou un comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

La loi prévoit que cette contravention peut faire l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire.

Tout d’abord, l’USM s’étonne que le gouvernement saisisse le Parlement d'un projet de contravention qui relève exclusivement du domaine réglementaire.

Ensuite, au-delà d’une portée purement symbolique, force est de souligner qu’une telle infraction serait difficile à constater et à réprimer :

  • pour la constater il faudrait qu’un agent assermenté assiste à la commission de l’infraction pour la relever par procès-verbal.
  • pour la réprimer, compte tenu de la complexité (qu’est-ce qu'un comportement sexiste, qui porte atteinte à la dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant ?) des éléments constitutifs, il paraît impossible de se dispenser d’une audition sur procès-verbal permettant au mis en cause de discuter les éléments retenus contre lui, avant la décision d’engager des poursuites.

S’il ne fait pas de doute que certains comportements sexistes sont inadmissibles, les moyens d'y mettre fin relèvent plus de la culture et de l’éducation que de la loi.

L'Union syndicale des magistrats est le syndicat le plus représentatif des magistrats de l'ordre judiciaire (70, 8 % des voix aux élections à la commission d'avancement en juin 2016). Elle s'interdit tout engagement politique et a pour objet d'assurer l'indépendance de la fonction judiciaire, garantie essentielle des droits et libertés du citoyen, de défendre les intérêts moraux et matériels des magistrats de l'ordre judiciaire et de contribuer au progrès du droit et des institutions judiciaires afin de promouvoir une justice accessible, efficace et humaine.