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Pourquoi l'USM s’oppose au mandat de dépôt à effet différé ?

Par Union syndicale des magistrats | LEXTIMES.FR |

Remarque liminaire : Le projet de loi de programmation abaisse le seuil d'aménagement des peines de 2 ans à 1 an. Dès lors que ce seuil avait été fixé à 2 ans après la création des peines planchers, qui ont été supprimées, l'USM est favorable à cet abaissement qu'elle appelait de ses vœux depuis plusieurs années pour une plus grande cohérence des peines et de leur application.

L'article 46 du projet de loi ajoute un nouvel article 464-2 dans le CPP, qui précise que le tribunal correctionnel (TC) doit, lorsqu'il prononce une peine délictuelle en tout ou partie ferme inférieure ou égale à 1 an :

  • aménager ab initio (détention à domicile sous surveillance électronique, semi-liberté, placement à l'extérieur),
  • ou, s'il n'a pas suffisamment d'éléments, renvoyer au JAP pour qu'il statue dans le cadre de l’article 723-15 (par ailleurs modifié)
  • décerner mandat de dépôt à effet différé,
  • décerner mandat de dépôt ou mandat d'arrêt, dans les situations prévues par le droit actuel.

Lorsque l’emprisonnement ferme prononcé est compris entre six mois et un an, le TC qui ne prononce pas d'aménagement de peine et ne renvoie pas le condamné devant le JAP peut décerner un mandat de dépôt à effet différé (ou, dans certains cas, un mandat de dépôt ou d'arrêt). Le condamné est alors convoqué devant le Procureur de la République dans un délai d'un mois pour que celui-ci fixe la date à laquelle il sera incarcéré.

La contradiction avec les objectifs affichés

Ce mécanisme, auquel l'USM s'est toujours opposée, est en contradiction totale avec les objectifs affichés pour ce projet de loi, notamment celui de réduire la surpopulation carcérale.

En effet, ne sont pas prévues :

  • la possibilité de prononcer ce mandat de dépôt différé pour des peines inférieures à six mois. Dans cette hypothèse, sauf cas dans lesquels un mandat de dépôt "classique" peut être prononcé, il n'est donc pas possible de déroger au principe de l'aménagement de peine ou du renvoi au JAP. Si le TC estime que la peine doit être ferme, il devra donc prononcer une peine de plus de six mois et motiver spécialement sa décision. Or, on sait que l'allongement de la durée des peines prononcées est un des facteurs principaux de la surpopulation carcérale…
  • la possibilité pour le PR de saisir le JAP en cas d'évolution de la situation du condamné dans le mois de la convocation, l'application de l'article 723-15 du CPP étant expressément exclue. Reste cependant la possibilité pour le condamné de saisir le JAP lui-même (ce qu'approuve l'USM),
  • l'hypothèse du condamné absent à l'audience ou auquel la convocation devant le PR ne peut être remise, totalement passée sous silence.

L'incohérence du mécanisme

Ce mécanisme est également incohérent au regard de la nature du mandat de dépôt. Mesure de sûreté, spécialement motivée, le mandat de dépôt revêt donc par nature un caractère d'urgence, incompatible avec un effet différé.

Si le but n'est pas un écrou immédiat, pourquoi prononcer un mandat de dépôt ? La décision sera exécutoire 10 jours après le prononcé du jugement si celui-ci est contradictoire, et 10 jours après la signification s'il est contradictoire à signifier. L'emprisonnement peut alors être ramené à exécution par le procureur, sans qu'il soit nécessaire de créer un nouveau dispositif.

Par ailleurs, un tel mécanisme tend à une sévérité plus forte à l'égard des personnes condamnées à une peine entre 6 mois et 1 an, qui seront incarcérées rapidement dans le cadre du mandat de dépôt à effet différé, qu'à l'égard des personnes condamnées à une peine supérieure à un an, pour lesquelles le dispositif actuel de mise à exécution de la peine s'appliquera.

Une atteinte au double degré de juridiction

Ce nouveau mécanisme, visant à mettre à exécution très rapidement une peine d'emprisonnement, réduit considérablement l'intérêt de l'appel pour le condamné. En effet, la peine aura été largement exécutée, si ce n'est en son entier, avant que la cour ait statué.

Si une telle critique peut également s'entendre en matière de mandats de dépôt classique, de tels mandats sont relativement rares, réservés à des situations particulières. Lorsqu'ils sont prononcés dans le cadre d'une comparution immédiate, le délai pour statuer pour la cour d'appel est réduit. Cela n'est pas prévu pour le mandat de dépôt à effet différé.

Un mécanisme inapplicable

Le but de la Chancellerie est d'imposer aux magistrats, par une nouvelle disposition législative, une mise à exécution plus rapide des peines d'emprisonnement.

De telles dispositions méconnaissent totalement la réalité du quotidien des juridictions d'une part, des parquetiers d'autre part. Les procureurs de la République n'ont ni le temps, ni les locaux leur permettant de recevoir chaque individu condamné à une peine d'emprisonnement ferme entre 6 mois et 1 an pour leur notifier une date d'incarcération.

Ils n'auront, pas plus que les juridictions correctionnelles d'ailleurs, de vision précise de l’évolution de la population carcérale à court terme, d'autant plus qu'il y a rarement de place vacante !

L'USM continuera de s'opposer à cette disposition incohérente et inutile dans le cadre des discussions parlementaires.

 

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